Lost in anywhere / 10-09-1974
samedi 25 octobre 2003

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{#Kimble}

Il y des gens dangereux, et d'autres qui sont ridicules. Il en existe parfois qui cumulent les deux en même temps. Kimble en fait partie. Afin de ne pas me faire matraquer par ce fou, je donne l'adresse du site sans lien hypertexte: http://www.kimble.org. Mégalomane furieux, investisseur fantasque et mauvais hacker hacké, ce genre de personnes fait peur. Rangé des voitures, je préfère désormais m'intéresser à ceux qui plaident pour un beau web qu'à ceux qui le détruisent.

{#AKO}

Un intranet trois fois plus grand que l'Intranet de la NASA; l'intérêt reste limité puisque c'est celui de l'armée américaine. Un projet titanesque nommé AKO.

Histoire de {#Naour} roi de Cachemire- Comte de Caylus

Naour roi de Cachemire, gouvernoit depuis l' âge de quinze ans cette heureuse contrée, avec justice, mais avec sévérité ; il vouloit que ses sujets fussent heureux, et qu' ils méritassent de l' être. L' oisiveté ne trouvoit jamais grace devant lui ; il faisoit acheter la diminution des impôts par un travail assidu, qui par-là devenoit pour ses sujets une double source de richesse. Il exigeoit la plus prompte obéissance, et ne commandoit rien sans raison ; et par une conséquence nécessaire, ceux auxquels il donnoit des preuves de sa générosité subissoient le plus rigoureux examen de leur mérite. Ses armes heureuses l' avoient rendu conquérant ; son caractère fier l' avoit toujours suivi dans ses conquêtes et dans sa politique ; ses voisins le redoutoient, et ses peuples l' admiroient en le craignant : c' est le sort de la vertu qu' accompagne trop d' austérité. C' est ainsi que Naour régnoit depuis vingt ans, et son pouvoir paroissoit si bien établi sur le courage, l' esprit et la justice, que jamais on n' eût imaginé qu' il pût éprouver les revers de la fortune. Ce roi n' avoit jamais connu les charmes de l' amour, il avoit toujours regardé cette passion comme une foiblesse de l' humanité : les beautés qu' il avoit eues sans nombre dans son harem, le lieu secret de ses plus doux plaisirs, ne lui avoit jamais fait imaginer que l' on pût être soumis à la volonté de celles que l' on soumettroit à la sienne, et devenir l' esclave de ses esclaves. Il étoit plus que jamais prévenu de cette erreur, lorsque l' intendant de son harem lui présenta l' incomparable Fatmé ; elle parut devant lui plus fière des avantages dont la nature l' avoit comblée, que Naour ne l' étoit de ceux du trône. La fermeté de l' esprit de ce prince qui jugeoit sévèrement de tous les objets, la dureté même de son coeur, qui n' étoit sensible qu' au mérite surnaturel ; tous ces sentimens nés en lui, augmentés par l' habitude et la vanité de les pratiquer, furent en un instant humiliés devant sa nouvelle esclave. Cependant elle ne témoignoit aucun orgueil qui pût révolter ; tout étoit graces et beautés dans sa personne ; sa fierté même étoit nécessaire à la majesté de sa taille, et à l' arrangement de ses traits. Naour sentit sa défaite, il en fut piqué, il voulut se la dissimuler ; et, dans l' espérance de l' éviter, son premier soin fut de se priver d' un objet dangereux ; mais l' amour ne fut pas long-tems sans le ramener. Fatmé feignit de ne pas s' appercevoir des mouvemens qu' elle faisoit naître dans un coeur si fier ; elle s' en applaudit, son amour-propre en fut flatté, et elle ne se rendit aux desirs emportés de son maître, qu' après en avoir triomphé. Le roi de Cachemire étoit trop excusable de céder à une aussi parfaite beauté ; ses cheveux noirs le disputoient en longueur à ceux de la nuit la plus obscure, et son brillant visage disoit à la lune lorsqu' elle étoit à son quatorzieme jour : parois, ou je parois. Si un derviche qui passe la nuit dans le recueillement de la prière, avoit seulement vu en songe un objet qui pût lui être comparé, il en auroit perdu l' esprit. Ses dents étoient encore mieux rangées que le plus beau fil de perles ; la fossette de son menton étoit la prison des coeurs ; la délicieuse odeur que toute sa personne répandoit naturellement, surpassoit celle du musc le plus estimé ; et le signe noir qu' elle avoit à-côté de l' oeil gauche, étoit une des plus grandes séductions que l' amour eût attachées à toute sa personne. Naour, le fier Naour, devint en peu de tems si passionné pour la belle Fatmé, au milieu même de la plus vive jouissance, qu' il ne pouvoit vivre sans contempler ses beautés, et sans admirer ses beaux cheveux tressés. Il étoit étonné de tous les sentimens que la nouveauté rendoit encore plus agréables à son coeur ; il se livroit sans cesse à l' amour le plus tendre, et s' enivroit des attraits de sa belle esclave, qu' il voyoit tous les jours avec un nouveau plaisir. Le signe noir dont il étoit encore plus frappé que de tous ses autres agrémens, étoit un grain semé dans son coeur, qui y produisoit un amour infini. Ce prince, dans les transports de sa passion, composa cette tendre chanson que la Perse chante encore aujourd' hui : ce seroit envain que je ne voudrois pas la suivre, ses beaux cheveux m' ont enchaîné, et m' entraînent malgré moi. Naour, amoureux pour la première fois, ne connoissoit encore ni la défiance ni la jalousie ; son caractère ne lui avoit jusqu' alors laissé voir les femmes qu' avec une sorte de mépris, et son amour le livra d' abord à la confiance la plus tranquille. Ce qui lui restoit même de fierté auprès de Fatmé ne lui laissoit pas douter de sa reconnoissance et de sa tendresse. Puisque j' aime enfin, disoit-il en lui-même, je suis aimé. Quand la belle esclave fut bien assurée du pouvoir de ses charmes, et qu' elle crut avoir suffisamment assuré son crédit sur l' esprit de son maître, et subjugué son coeur ; quand elle n' eut plus d' inquiétude sur sa conquête, celle de son souverain ne lui parut pas suffisante ; elle en étoit assurée, il en falloit une autre pour son bonheur particulier. Et peu flattée d' un amant dans lequel elle reconnoissoit toujours un maître, elle voulut blesser un coeur qui ne dût qu' à son mérite le don qu' elle lui feroit du sien. Dans ces tems où Cachemire avoit un roi particulier, les harems n' étoient pas gardés avec une grande sévérité ; il y avoit même plusieurs officiers destinés pour le service du prince, qui n' étoient point eunuques, et qui entroient dans l' intérieur du palais. Naour avoit un favori, nommé Aboucazir, qu' il menoit toujours avec lui ; il étoit grand, bien fait, et d' une beauté ravissante ; ses paroles étoient aussi douces que le miel, et son visage n' étoit couvert que d' un duvet si doux, qu' il ressembloit à la verdure qui croît sur les bords des fleuves de lait qui coulent dans le paradis. C' étoit lui qui servoit toujours le roi quand il étoit dans l' appartement de Fatmé, et jamais aucun autre officier ne se tenoit à ses côtés quand il soupoit avec cette belle esclave. Ce fut sur Aboucazir qu' elle jetta les yeux : elle essaya mille fois ses regards pour dénouer le noeud de sa pensée. Quelquefois elle croyoit entrevoir des rayons d' espérance ; mais aussi-tôt elle ne voyoit plus dans toute sa personne que les apparences d' un respect qui la mettoit au désespoir. Ces tourmens de son coeur lui rendirent à la fin le repos inconnu, sa beauté même en fut altérée. Naour en ressentit les plus vives alarmes ; mais bientôt elle ne regretta plus la diminution de ses charmes, les regards tendres et compatissans qu' Aboucazir ne put s' empêcher de laisser tomber sur elle, ne tardèrent pas à la ranimer, comme une jeune fleur qu' un triste orage a courbée et flétrie, reprend son éclat et sa fraîcheur au premier rayon d' un soleil bienfaisant. Il est vrai que ces témoignages furent si sages et si modérés, que Fatmé n' en pouvoit tirer qu' une légère espérance ; elle s' y livra cependant avec transport. Ces premières démarches accoutumèrent bientôt l' amante et l' amant à se servir de leurs yeux et de leurs paupières pour se faire des demandes et des réponses, en attendant l' heureuse occasion de pouvoir exprimer ces tendres reproches, ces douces questions et ces aimables assurances qui sont le charme de tous les amours, mais plus encore de l' amour naissant. Le tems qui leur étoit le plus favorable étoit celui des soupers, parce qu' ils se voyoient de plus près et plus long-tems. Fatmé qui ne croyoit vivre que lorsqu' elle voyoit son amant, ne songea qu' à les rendre plus fréquens, et la proposition qu' elle en fit au roi, dont il attribuoit la cause au desir de le voir plus souvent, ne servit encore qu' à l' enflammer davantage. Un jour que le prince et la belle esclave étoient à table vis-à-vis l' un de l' autre, Fatmé laissoit tomber ses regards, toutes les fois qu' elle le pouvoit faire sans danger, sur Aboucazir. Il servoit son maître, et plus libre dans ses regards, puisqu' étant derrière lui il ne pouvoit en être apperçu, il la dévoroit des yeux ; tandis que Naour la regardoit elle-même avec tant de passion, qu' il ne voyoit qu' elle dans la nature, et croyoit lire sur ses joues vermeilles ce passage du divin alcoran : la femme est le plus bel ouvrage du créateur. Les regards n' étant pas suffisans pour rassurer et nourrir le coeur de Fatmé ; cette belle des belles qui vouloit prolonger le plaisir de voir son nouvel amant, et celui d' en être vue, qui vouloit encore trouver les moyens de lui faire connoître l' étendue de son amour, et rendre le sien plus hardi, proposa au roi de lui conter une histoire. J' y consens, reprit-il, quand nous serons sortis de table ; je jugerai avec transport des charmes de ton esprit ; je suis sûr qu' ils égalent ceux que toute ta personne offre à mes yeux. Si j' osois représenter quelque chose à mon souverain seigneur, reprit la belle fille, il me semble qu' une histoire doit être plus agréable dans la situation où nous sommes. Lorsqu' elle est moins intéressante, on prend un fruit, on demande un cherbet, ou quelques coupes de vin de Chiras ; il augmente la vivacité de celui qui raconte, et dédommage celui qui écoute des instans d' ennui, et je sens que cette ressource m' est absolument nécessaire. Cette feinte modestie lui attira les éloges qu' elle en attendoit, et ne donna que plus d' envie de l' entendre ; les regards d' Aboucazir, et les discours du roi lui témoignèrent combien ils en seroient charmés. La gaieté vive et la grace dont elle avoit accompagné cette proposition, avoit disposé leurs esprits par ses plus fortes illusions. Fatmé n' ayant plus rien qui l' empêchât de parler, prit ainsi la parole.

Histoire de {#Naerdan} et Guzulbec - Comte de Caylus

Hussendgiar, riche marchand de pierreries, habitoit Erzerum ; il étoit déja dans un âge avancé, et de toutes ses esclaves et de ses femmes il n' avoit obtenu du ciel qu' une fille. Si elle ne pouvoit le satisfaire du côté des espérances de son commerce, elle le rendoit heureux par les graces dont la nature avoit orné sa figure, en même tems qu' elle avoit rendu son esprit susceptible de tous les talens. Elle n' avoit que six ans, lorsqu' Ali, surnommé Timur, qui avoit toujours été des amis d' Hussendgiar, vint à mourir, ne laissant aucune fortune à son fils unique, malgré la réputation qu' il avoit toujours eue d' être riche. En rendant les derniers soupirs entre les bras d' Hussendgiar, il lui recommanda ce fils, seul objet de ses regrets. Ce véritable ami s' en chargea avec plaisir ; ce fut d' abord sans autre vue que celle de satisfaire à l' amitié, qu' il donna tous ses soins à cet enfant ; mais Naerdan, c' est le nom du fils de Timur-Ali, les mérita bientôt lui-même. La douceur faisoit son caractère, et son intelligence étoit au-dessus de son âge ; la reconnoissance fut le premier sentiment de son coeur. Hussendgiar s' applaudissoit du legs que lui avoit fait son ami, et partageoit sa tendresse entre Naerdam et Guzulbec sa fille unique. Ils étoient élevés ensemble ; leur enfance qui les unissoit par des plaisirs communs, la liberté qu' ils avoient d' être toujours ensemble ; ou plutôt les charmes naissans de Guzulbec et le mérite de Naerdan, établirent dans leurs coeurs un goût que rien ne put détruire. Hussendgiar s' en apperçut ; mais loin d' apporter aucun obstacle à leurs sentimens, il paroissoit au contraire les approuver. Le ciel qui lui avoit refusé un successeur, lui en donnoit un dans le fils de son ami, qui s' en rendoit plus digne chaque jour, et Hussendgiar avoit le plaisir de faire un éleve au gré de ses desirs. Quand Naerdan, qui se trouvoit de fort peu d' années plus âgé que Guzulbec, eut atteint l' âge de douze ans, on ne lui permit plus de la voir, elle fut renfermée dans l' appartement des femmes, et Naerdan confié à ceux qui devoient lui donner une éducation convenable aux desseins qu' Hussendgiar avoit formé pour son établissement. Cette séparation lui fut infiniment sensible ; mais elle le fut pour le moins autant à Guzulbec, qui moins distraite que lui, ne s' occupa plus que d' un amour dont la privation de ce qu' elle aimoit, venoit de lui découvrir toute la violence. Il s' accrut long-tems dans la solitude, et n' osant écrire à son amant, elle n' avoit d' autre ressource, pour le faire lire dans son coeur, que les salams qu' elle lui envoyoit par un esclave qui en ignoroit le mystère. Le premier qu' elle lui fit tenir fut un petit paquet de gingembre : c' étoit faire de grandes avances, sans doute ; mais une passion aussi vive que la sienne ne consultoit plus la retenue ; elle trembloit dans l' attente de la réponse ; elle craignoit de n' être plus aimée. Quelle fut sa joie, lorsqu' on lui rapporta de la part de Naerdan un petit morceau de drap bleu ! Ce signe n' exprimoit pas, à la vérité, un sentiment aussi tendre qu' elle l' auroit desiré ; mais enfin elle n' étoit pas oubliée, on l' aimoit encore ; le charme de cette idée dura peu de tems. Il fit place à des regrets et à des desirs d' autant plus vifs, qu' elle ne doutoit point que Naerdan ne les partageât. En prononçant ces derniers mots, Fatmé les adressoit à Aboucazir, et les accompagnoit des regards les plus tendres. Il faut avouer, dit-elle, en interrompant elle-même son récit, et fixant, pour un instant, sur le roi de Cachemire, ses beau yeux qu' elle ramena insensiblement sur l' attentif Aboucazir ; il faut avouer, continua-t-elle, que la malheureuse Gulzulbec étoit à plaindre ; renfermée dans un sérail trop respecté par son amant, elle comptoit les instans de sa jeunesse et de sa beauté. Quels avantages, disoit-elle, quels trésors dissipés sans fruit ! De quel retour ma tendresse ne devroit-elle pas être payée ! Ah ! Combien le germe de notre amour, cultivé par mes soins, auroit poussé de rameaux qui se seroient courbés sous le poids des fruits les plus délicieux ! Mais, non ; celui que j' adore ne m' aime point, puisqu' un vain respect... je ne vous rapporterai point, seigneur, continua Fatmé, les soupçons qui succédoient aux plaintes de la triste Guzulbec ; je vous ai promis son histoire, et je la reprends. Naerdan, parvenu à l' âge de quinze ans, sentit à tel point les avantages du commerce, et profita si parfaitement des leçons qu' il avoit reçues, que la reconnoissance qu' il avoit pour Hussendgiar, jointe à son intelligence naturelle, lui fit avoir un soin particulier de ses affaires ; ce bon maître les lui confia pendant le cours de plusieurs voyages qu' il fit aux Indes. Elles prospérèrent entre ses mains, et la vente des marchandises qu' il lui avoit laissées dans ses magasins d' Erzerum, produisit encore plus de profit à Hussendgiar, que ses voyages. Cependant Naerdan, par une délicatesse et une fidélité rares à trouver dans un coeur amoureux, avoit rompu le commerce qu' il avoit avec Guzulbec ; son amour ne s' éteignit pas ; mais il lui imposa silence, et il en sacrifia tous les dehors à la probité. Il n' osoit plus prétendre à épouser la fille de son maître, à qui le ciel, contre toute espérance, venoit enfin d' accorder un fils. Cette générosité, continua Fatmé, loin de diminuer les sentimens de Guzulbec, ne servit qu' à les entretenir. Hussendgiar, dans la joie que lui causoit la naissance imprévue de son fils, ne pouvoit tarir sur les louanges que Naerdan méritoit, et disoit publiquement que l' héritier dont la nature avoit satisfait ses desirs, étoit seul capable de déranger les projets qu' il avoit formés en sa faveur ; ajoutant que sa vertu, sa droiture et son intelligence l' auroient déterminé à lui donner sa fille et tous ses biens, mais qu' il espéroit faire la fortune d' un de ses amis, en lui donnant un pareil gendre. Ces éloges engagèrent Cara Mehemmet, beau-frère d' Hussendgiar à lui demander Naerdan pour sa fille ; il prétendoit même conclure le mariage aussi-tôt qu' il seroit de retour d' un voyage aux Indes, qui devoit au moins l' occuper pendant huit ou neuf mois. Comme il étoit jouailler de sa profession, Naerdan consentit à cette proposition, non par aucun desir de richesse et d' établissement, mais pour se guérir d' un amour qu' il ne pouvoit plus regarder que comme une ingratitude. Ces nouvelles parvinrent aux oreilles de Guzulbec ; elles couvrirent son coeur de surme, elle envoya inutilement à son amant une pomme, un morceau d' étoffe couleur d' aurore, une olive, et un charbon de bois. Ces tendres signes de l' excès de sa douleur et de sa jalousie ne firent point changer la cruelle résolution du trop vertueux Naerdan. Ici Fatmé s' interrompant encore, ne put se refuser une réflexion, dont le sens, qui n' avoit rien que de simple pour le roi de Cachemire, étoit un reproche pour Aboucazir. On peut, dit-elle, je le conçois, se sacrifier soi-même aux sentimens d' une juste reconnoissance ; mais la vertu nous permet-elle d' autres victimes ? On est charmé de trouver, dans le coeur de ce qu' on aime, les principes de la vertu, mais ils dégénèrent en barbarie, quand on les pousse trop loin. Eh ! Comment peut-on se résoudre à lui sacrifier ce que l' on aime ? Car enfin Naerdan ne pouvoit ignorer que Guzulbec ne survivroit pas à son malheur ; mais le juste ciel, le ciel moins sévère que lui, ne consentit pas à sa perte. Cette tendre amante au désespoir, ne sachant à qui s' adresser dans son infortune, confia ses peines à une vieille juive qui lui vendoit souvent des bijoux étrangers. La vieille parut sensible à son état, mais plus encore à la récompense qu' elle lui promit, si elle pouvoit empêcher le mariage. Prends tout ce qui est en mon pouvoir, lui dit tendrement Guzulbec ; que Naerdan ne soit point à une autre ; et je te jure par le saint prophete, que je ne possede rien qui ne soit à toi. Que n' ai-je tous les trésors de l' Inde, pour t' engager à me servir ! La juive la quitta, en lui promettant de la secourir, et l' assurant qu' elle auroit bientôt de ses nouvelles. Le jour qui suivit celui où la juive avoit fait à Guzulbec des promesses si consolantes, Hussendgiar rencontra dans les rues d' Erzerum Cara Mehemmet, qui n' en étoit parti que depuis quatre mois. Il lui témoigna la surprise que lui causoit un si prompt retour. Cara Mehemmet, lui répondit, qu' il avoit trouvé un de ses correspondans à motié chemin du lieu où il vouloit aller, qu' il lui avoit remis les fonds qu' il avoit dans l' Inde, d' une façon très-avantageuse, et qu' il étoit résolu de ne plus s' exposer à de si grandes fatigues que son âge ne permettoit pas de soutenir, qu' il vouloit enfin goûter le repos que ses richesses lui permettoient de trouver dans sa patrie. Hussendgiar le fit souvenir sur le champ de l' engagement qu' il avoit pris avec lui, pour le mariage de Naerdan et de sa fille. Cara Mehemmet lui dit, qu' il étoit prêt de le remplir ; mais qu' il vouloit que les noces se fissent dans une maison de campagne, dont il avoit fait l' acquisition. Hussendgiar consentit sans peine à cette proposition. Ils partirent sur le champ pour aller chercher Naerdan ; ils le trouvèrent occupé des affaires d' Hussendgiar. Et Cara Mehemmet lui dit : mon fils, si vous voulez me suivre, je vous ferai voir ma fille, elle n' est âgée que de quinze ans, et vous l' épouserez, si elle vous convient. Naerdan lui répondit avec politesse, mais cependant avec froideur, et les suivit avec une espece de joie, dans l' espérance de détruire par ce moyen une passion à laquelle il croyoit ne devoir plus s' abandonner. Cara Mehemmet les conduisit hors des portes de la ville. Hussendgiar en lui voyant prendre ce chemin, lui dit : à-propos, mon ami, que signifie donc cette maison que je ne vous connois pas ? Cara Mehemmet lui répondit : il faut jouir de ses richesses ; vous verrez de quelle façon ma nouvelle habitation est ornée ; depuis long-tems je me fais un plaisir de l' étonnement que vous allez avoir ; le mariage de ma fille avec Naerdan est le terme du mystère que j' ai fait jusqu' aujourd' hui d' une retraite délicieuse dont je vais jouir paisiblement, en laissant à Naerdan avec les avantages de mon commerce, tous les soins qu' il me donnoit. En achevant ces mots, ils arrivèrent devant une grande maison dont la porte étoit gardée par deux portiers. Naerdan fut étonné de voir un nombreux cortege de pages au pied de l' escalier. Ils étoient magnifiquement vétus, leurs chemises étoient de soie, leurs culottes de satin, leurs jupons de taffetas des Indes, leurs caffetans de taffetas ondé, et leurs ceintures de pierres précieuses taillées aux Indes. Ces pages marchèrent devant eux avec beaucoup de respect, et les conduisirent dans une salle d' audience superbement meublée. Quand ils eurent pris leur place sur le sopha, on leur apporta du café et des confitures, et bientôt on leur servit un repas splendide et délicat. Les plats étoient d' argent et le linge étoit richement brodé. Après le dîné, Cara Mehemmet pria Hussendgiar de passer dans une autre chambre pour le laisser avec Naerdan auquel il avoit des affaires particulières à communiquer. Hussendgiar les laissa seuls. Cara Mehemmet ouvrit une armoire qui donnoit dans l' appartement de ses femmes, et il appella sa fille. Elle répondit sur le champ avec une voix aussi douce que celle d' un ange, et si agréable, qu' elle causa même une sorte d' émotion à Naerdan. Cette beauté ne fut pas long-tems sans paroître, et sans faire voir des charmes frappans ; car l' éclat de son teint surpassoit celui de la lune quand elle est dans son plein. En arrivant auprès de son père, elle se jetta à ses genoux, et les embrassa en disant : que souhaitez-vous, mon père, de votre esclave ? Je suis charmé, lui répondit Cara Mehemmet, de vous trouver dans les dispositions où je vous souhaitois ; je veux vous donner en mariage à Naerdan que vous voyez : y consentez-vous ? J' ai déja dit à mon père, reprit cette jeune beauté, que son esclave fera tout ce qu' il lui ordonnera ; elle est prête non-seulement à épouser Naerdan qu' il lui présente, mais encore le dernier de ses serviteurs ; le plaisir d' obéir à mon souverain seigneur, ajouta-t-elle, sera toujours la plus grande satisfaction de mon ame. En achevant ces mots, elle se retira et sortit de la chambre. Eh bien, mon fils, dit alors Cara Mehemmet, que dites-vous de ma fille ? En êtes-vous content ? Quel est l' homme, lui répondit Naerdan, à qui une semblable beauté pourroit ne pas plaire ? Cara Mehemmet satisfait de cette réponse, envoya promptement chercher l' iman du quartier, et tirant ensuite une bourse dans laquelle il y avoit trois mille sequins : prenez cet argent, mon fils Naerdan, lui dit-il ; et quand je vous demanderai en présence de l' iman ce que vous apportez en mariage à ma fille, vous me répondrez, trois mille sequins ; et pour-lors vous me donnerez cette bourse pour son douaire. L' iman ne se fit point attendre ; il arriva suivi du maître d' école et du muczin. On servit aussi-tôt la table, et sur la fin de ce nouveau repas, Cara Mehemmet dit à l' iman : je donne ma fille à Naerdan que vous voyez, s' il a trois mille sequins pour assurer son douaire. Hussendgiar voulut aussi-tôt les donner, mais Naerdan présenta la bourse que son beau-père lui avoit donnée ; et cette affaire n' éprouvant aucune autre difficulté, fut bientôt terminée. Le contrat fut donc dressé, et la cérémonie de l' iman fut encore suivie d' un nouveau repas. Quand on fut à la fin, Naerdan s' approcha d' Hussendgiar, et lui dit : je ne dois pas coucher seul cette nuit ; ne seroit-il pas à-propos que j' allasse aux bains ? Cara Mehemmet voulut savoir ce que desiroit son gendre. Quand il l' eut appris, non-seulement il approuva son dessein, mais il l' assura que cette purification étoit nécessaire après la cérémonie de l' iman. Il appella des esclaves qui le conduisirent aux bains délicieux que l' on avoit préparés dans la maison même, et demeura toujours à table. Naerdan vint ensuite l' y retrouver, et son beau-père le fit entrer dans l' appartement des femmes, et coucher avec sa nouvelle épouse. Quand il eut éprouvé des plaisirs qu' il croyoit devoir bannir de son coeur le souvenir de Guzulbec, il sentit avec chagrin qu' il ne lui étoit pas moins attaché qu' auparavant. Ces idées l' occupèrent quelque tems ; mais enfin il fut obligé de s' abandonner au sommeil. Le jour ne le réveilla pas tant encore qu' un besoin très-pressant, qu' il ne pouvoit cependant satisfaire, n' osant se lever ni faire le moindre mouvement, dans la crainte d' éveiller sa charmante épouse dont la tête étoit appuyée sur son bras. Enfin ne pouvant plus se retenir, il retira son bras le plus doucement qu' il lui fut possible. Mais quelle fut sa surprise quand il vit cette belle tête, cette tête un des chef-d' oeuvres de la nature, se détacher de son corps, et tomber en bas du lit en roulant jusqu' à la porte ! à cet affreux spectacle, il oublia tous ses besoins, et demeura perclus de tous ses membres. Il étoit depuis quelque tems dans cette cruelle situation, lorsque Cara Mehemmet envoya savoir comment les nouveaux mariés avoient passé la nuit. On trouva la porte fermée ; le malheureux Naerdan n' étoit pas en état de l' ouvrir, ni même d' entendre frapper, car il avoit perdu toute connoissance. On fut donc obligé de l' enfoncer ; la tête et le sang que l' on apperçut firent pousser de grands cris à tous les esclaves, et ces cris attirèrent Cara Mehemmet, qui fit aussi-tôt venir le cadi. On mit Naerdan en prison et on le chargea de fers, pour le livrer bientôt au supplice. Les mauvaises nouvelles qui courent avec tant de rapidité, instruisirent bientôt Guzulbec de ces tristes événemens ; elle eut le coeur percé en apprenant le danger que son amant couroit. La juive ne fut pas long-tems sans se présenter devant elle. Elle lui dit en l' abordant : eh bien, êtes-vous contente ? Vous ne devez plus craindre de rivale, et... ah cruelle ! Lui répondit tendrement Guzulbec ; rends-lui la vie, et n' expose point les jours de mon amant. Tu ne pourras échapper à ma juste vengeance, poursuivit-elle en la regardant avec des yeux animés par la fureur, que dans de pareilles situations les caractères les plus doux n' expriment pas d' une façon moins terrible que les plus emportés. La juive se retira promptement. Cependant Hussendgiar ne fut pas plutôt informé du malheur de Naerdan, car il ne pouvoit le croire coupable d' aucun crime, qu' il se rendit à la prison. Il accouroit pour le consoler et savoir quel service il pourroit lui rendre. Naerdan lui fit un récit fidele de son aventure sur laquelle Hussendgiar ne sut quel jugement il devoit porter ; et il sortit promptement pour chercher les moyens de travailler à sa justification, sans trop savoir comment il pourroit y réussir. Son premier soin fut d' aller trouver Cara Mehemmet dans sa nouvelle maison où le malheur étoit arrivé, pour s' informer de ce qu' on y disoit. Mais il fut bien surpris de ne pas trouver la moindre trace de ce magnifique bâtiment, et de voir à la place une vieille masure, dans laquelle il apperçut un vénérable vieillard qui lui demanda ce qu' il cherchoit. Je cherche, lui répondit Hussendgiar, une grande maison qui, ce me semble, étoit encore hier ici. Il est vrai qu' il y en avoit une, reprit le vieillard, mais tu vois clairement qu' il n' y en a plus. Ton étonnement cessera, poursuivit-il après quelques momens de silence, quand tu sauras que je suis un génie, et que les sentimens de ta fille Guzulbec pour Naerdan m' ont touché. J' ai pris la figure d' une vieille juive pour en être plus éclairci ; j' ai pris encore celle de Cara Mehemmet, qui ne doit arriver que ce soir dans cette ville ; j' ai bâti la maison dans laquelle tu as soupé hier, et dans laquelle on a célébré les prétendues noces de Naerdan. Va lui promettre ta fille, continua-t-il d' un ton sévère ; un honnête homme dans ta famille vaut mieux que tous les trésors. Naerdan aura soin de ton fils ; sa vertu fera tout prospérer chez toi. Si tu ne m' accordois pas une demande aussi juste, je te ferois repentir mille fois par jour de tes refus. Hussendgiar promit au génie tout ce qu' il exigeoit de lui ; et l' esprit aérien lui dit : tu peux aller trouver le cadi qui a fait mettre Naerdan en prison ; obtiens de lui qu' il vienne ici, et quand il aura visité les lieux, et qu' il les aura trouvés si différens de ce qu' ils étoient ce matin, il ne pourra douter que l' aventure de Naerdan ne soit un enchantement ; et pour-lors tu pourras aisément obtenir de lui la liberté de celui qui est injustement prisonnier. Hussendgiar obéit au vieillard. Tout se passa comme il l' avoit prévu. L' arrivée du véritable Cara Mehemmet, qui dans ce moment parut à cheval à la tête de ses esclaves, confirma le cadi dans la vérité du rapport qu' on lui faisoit ; il rendit la parole qu' Hussendgiar avoit exigée de lui, de donner sa fille à Naerdan. Ce tendre amant fut rendu à la constante Guzulbec, et le ciel qui les avoit protégés combla leur union de toutes les félicités. Vous voyez, seigneur, poursuivit alors Fatmé, tout ce qu' inspire un amour bien vif pour se faire entendre, et tout ce qu' il emploie pour réussir ; souvent même il fait courir des risques à ce qu' il aime par une timidité mal placée. Si Guzulbec et Naerdan eussent parlé à Hussendgiar, peut-être ils l' auroient touché ; Naerdan auroit pu enlever Guzulbec : que sais-je ce qu' ils auroient pu faire ? Tout, continuat-elle, hors de demeurer dans l' inaction, et sans le génie, je ne sais ce qu' ils seroient devenus. Divine Fatmé, lui répondit Naour, charmé du nouveau plaisir qu' il venoit d' éprouver, j' aime à penser comme toi ; cependant je ne puis blâmer Naerdan, sa modestie et sa retenue m' ont charmé ; mais je ne pense qu' au singulier plaisir de faire des découvertes agréables dans ce qu' on aime. Je compte ajoutat-il, que tu n' en demeureras pas à cette seule histoire, et qu' une autre fois... oui, sire, interrompit Fatmé, je suis trop heureuse de pouvoir vous amuser ; mais je vous prie de m' accorder une grace. Quelle est-elle ? Reprit Naour avec bonté ; et que desire la souveraine de mon coeur, et le plaisir de mes yeux ? Il m' a paru, seigneur, lui répondit-elle, qu' Aboucazir m' écoutoit avec une attention qui prouve qu' il aime ces sortes d' histoires. Quand on les aime on en sait, et je souhaiterois lui en entendre conter une. Fatmé vouloit donner au trop timide Aboucazir le moyen de lui répondre ; elle comptoit démêler ses sentimens pour elle dans quelques traits d' une histoire étrangère ; ne voulant pas perdre une ressource adroite dont elle lui avoit donné l' exemple, elle pressa le roi d' ordonner à son amant de la satisfaire. Je consens à ce que tu me proposes, reprit Naour. Aboucazir eut beau s' en défendre quelque tems, le roi lui dit en sortant : je t' ordonne demain, à la fin de notre souper, de conter une histoire ; je te pardonne d' avance, si tu ne nous amuses pas, tout le monde ne peut pas conter ; ne voudrois-tu pas t' en acquitter aussi bien que Fatmé ? Aboucazir lui témoigna par son profond respect qu' il lui obéiroit. Et le lendemain après avoir été mille fois rassuré par les tendres regards de Fatmé, il prit ainsi la parole.