Automne

Lost in anywhere / 10-09-1974
 Dimanche 19 octobre 2003
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A la Saint-René, couvre ton nez.

Couleurs et saveurs d'automne

Tous les ans, je ne peux me permettre de louper ce rendez-vous avec l'automne.

Aucune ville ne sait célébrer l'automne comme le fait Eaubonne. C'est dans un jardin public que se déroule tous les ans cette petite fête sur trois jours, tournant autour d'un thème de l'automne; cette année, c'est l'été indien.

Mais mon réel intérêt, ce sont les courges, ces montagnes de courges de toutes les couleurs, dévalant telle une cascade sur leur étal, et ces pommes savoureuses !!!

courgesVoici un avant-goût de ce qui vous attend dans la [gallerie]

Histoire de la naissance de Mahomet - Comte de Caylus

Il y avoit un israélite nommé Oucha, qui vécut plusieurs années dans la sainte ville de Jérusalem, sa patrie, long-tems après la mort du prophete Salomon. Il étoit docteur de la loi ; et son respect pour les livres de Moïse, étoit si grand, qu' il les méditoit sans cesse ; les prédictions qui annonçoient la venue de Mahomet et les louanges que Dieu lui donnoit lui-même, le saisirent d' admiration. Le desir de s' instruire lui fit entreprendre de très-grands voyages qui lui apprirent tous les secrets de la nature. Ainsi toujours occupé de la venue du saint prophete, il fut de plus-en-plus convaincu des bénédictions de dieu pour son grand ami, et pénétré de la grandeur de ce qu' il apprendroit aux hommes ; mais il se soumettoit à la nécessité de ne les point révéler. Les mêmes connoissances lui avoient appris que Mahomet devoit naître à La Mecque, et cette raison l' engagea à fixer son séjour dans cette ville prédestinée par-dessus toutes celles qui ont existé, qui subsistent, et qui seront élevées. Après avoir parcouru la ville avec le saint zele qui l' y avoit conduit, il découvrit un espace qui n' étoit qu' un grand jardin inculte ; il en baisa trois fois la terre, et donna à celui qui le possédoit tout ce qu' il en voulut avoir : l' argent est-il à considérer pour les choses saintes ? ... il bâtit une belle maison sur ce terrein et résolut d' y terminer ses jours. Son mérite et la réputation de sage qu' il avoit si bien méritée lui firent bientôt trouver une femme qui le rendit heureux. Il en eut, dès la première année, une fille qui fut nommée Zesbet, et qui, devenue l' objet de son amour et de ses attentions, se trouva dans la suite, quoique dans un âge très-peu avancé, en état de connoître et de pratiquer la vertu. Une aussi bonne éducation rendit son coeur préférable à sa beauté, quoiqu' elle eût tous les avantages de la figure. Son teint plus blanc que le plus bel albâtre oriental, ses yeux plus noirs que les plumes du corbeau, ses joues plus vermeilles que le pavot de Perse, formoient une des plus rares beautés. Oucha avoit souvent annoncé aux israélites de La Mecque la venue du grand prophete ; mais loin de les persuader, ils avoient voulu déchirer les feuillets sur lesquels ce grand événement étoit si clairement énoncé. Oucha avoit eu même beaucoup de peine à sauver de leur fureur les feuilles honorées de ces divins passages. Il les avoit gardées avec soin et renfermées comme son plus grand trésor, ne voulant point exposer les preuves convaincantes de la bonté de dieu et de la gloire du saint prophete à l' impiété des israélites. Le sage Oucha, par ses profondes connoissances, possédoit des richesses immenses dont on ignoroit la source ; sa maison étoit abondante et nombreuse en esclaves ; il y recevoit les étrangers comme ses enfans ; et jamais il ne refusoit l' aumône. Il disoit souvent à sa fille qui le louoit de ses bonnes actions et le félicitoit d' avoir assez de bien pour les pouvoir exécuter : ma fille, ce n' est pas la valeur des dons qui rend la charité recommandable, les pauvres peuvent pratiquer les mêmes vertus que les riches ; la fumée du sandal et de l' aloës s' éleve-t-elle plus haut que celle de la résine ? Oucha mourut enfin âgé de cent ans ; sa femme saisie de douleur ne lui survécut que fort peu de jours. La perte de personnes qui lui étoient aussi chères fut infiniment sensible à Zesbet, ce fut à ce premier chagrin que l' on attribua la retraite à laquelle elle se livra ; mais l' étonnement de tous ceux qui prétendoient à sa possession redoubla, quand après quelques mois on ne la vit point changer de conduite. L' étonnement fit ensuite place à l' admiration, et l' admiration fit à son tour place à l' oubli ; car le monde abandonne aisément ceux qui le veulent véritablement éviter. Zesbet n' étoit âgée que de quinze ans ; mais son esprit étoit absolument formé. Son père lui avoit recommandé, en lui disant les derniers adieux, de ne jamais vendre la maison qu' il lui laissoit, quelque chose qui lui pût arriver ; et cette recommandation étoit suffisante pour l' engager à l' habiter toute sa vie. Après s' être abandonnée quelque tems à la vivacité de sa douleur, la raison engagea Zesbet à donner quelque ordre à ses affaires. Elle ignoroit la source des trésors de son père ; tous les esclaves de sa maison n' en étoient pas mieux instruits. On ne connoissoit aucun des parens du célebre Oucha, et Zesbet étoit, pour ainsi dire, seule dans l' univers. Elle employa plusieurs jours à parcourir toute la maison ; il n' y eut point d' endroit qui ne fût inutilement visité ; on avoit à-peine trouvé quelque argent pour les frais de sa sépulture. Dans cette situation, Zesbet ne balança point à donner la liberté aux esclaves de l' un et de l' autre sexe, et à ne réserver qu' une vieille pour la servir. Elle fit ensuite vendre tous les meubles qu' elle trouva dans la maison ; mais les meubles d' un sage ne sont pas ordinairement d' une grande ressource. Aussi Zesbet n' en retira-t-elle qu' une somme assez médiocre, avec laquelle elle résolut de vivre dans lieu le plus reculé de la maison, en attendant les bontés du ciel, auquel elle avoit mis sa confiance, suivant les paroles que son père lui avoit dites souvent : le ciel récompense tôt ou tard ceux qui suivent les conseils de la sagesse, et qui n' abandonnent point la vertu . Les préceptes et les exemples d' un père si sage étoient donc toujours présens à son esprit ; aussi, malgré son peu d' opulence, qui lui fournissoit à-peine le nécessaire, un pauvre qui frappoit à sa porte, ou qui se présentoit à elle en allant faire ses prières, un malade dont sa vieille esclave entendoit parler en allant chercher ce qui leur étoit nécessaire, étoient assurés d' être secourus. Cependant l' argent diminua, et Zesbet n' étant plus en état de nourrir sa vieille esclave, se vit contrainte de lui donner la liberté. Cette séparation fut sensible de part et d' autre, mais elle étoit indispensable. Cette beauté que tout le monde se seroit empressé à secourir, et dont tout le monde seroit devenu l' esclave, se trouva donc dans la solitude la plus complette, oubliée de tous les habitans de La Mecque, et de tous les jeunes-gens qui l' avoient vue dans la maison de son père. L' idée de ses trésors, les avoit sans doute autant attachés à elle, que sa beauté. Il y avoit environ deux ans que le vertueux Oucha étoit allé jouir avec les anges blancs, du bonheur de voir le saint prophete, lorsque les ressources de Zesbet furent si épuisées, qu' un jour elle se trouva sans argent et sans aucune provision. Celui qui ne se confie pas en dieu, ne peut être heureux... Zesbet pratiqua cette grande vérité avec tant de succès, qu' elle dormit encore ce jour-là comme à son ordinaire, sans même avoir à son réveil le moindre desir de vendre la maison qu' elle habitoit. Le fonds en étoit cependant plus que suffisant pour la tirer de peine. Oucha lui avoit ordonné de la garder, c' en étoit assez pour l' engager à tout souffrir. Au point du jour, elle se leva avec cette tranquillité que ne connoît point celui qui a quelque reproche à se faire, et vint encore visiter l' appartement que son père avoit habité. Ces lieux lui rappellèrent toute l' étendue de la perte qu' elle avoit faite, et toute l' horreur de sa situation présente, elle répandit quelques larmes. Mais enfin elle apperçut dans un arrière-cabinet un vieux morceau de courroie qui tenoit au plancher, et auquel elle n' avoit jamais fait attention. Par un mouvement de curiosité naturelle, ou par une espérance sourde, pour ainsi dire, qui regne toujours en nous, elle tira cette courroie, et leva par son moyen des planches qui lui découvrirent un trappe dans laquelle elle apperçut un coffre de cedre. Qui pourroit peindre sa joie ? Qui pourroit exprimer la peine qu' elle eut à en faire l' ouverture ? Cependant elle vint à-bout de le casser ; mais quelle douleur pour la pauvre Zesbet, en voyant qu' il en renfermoit un autre d' ébene ! Nouveaux travaux, nouvelles inquiétudes sur ce qu' elle trouveroit dans celui-ci. Vingt fois elle fut obligée de se laisser tomber sur le plancher, de lassitude, de foiblesse et de besoin. Enfin elle parvint encore à en faire l' ouverture. Ce second coffre ne renfermoit que les feuilles détachées du corps de la bible, qu' Oucha avoit eu tant de peine à sauver de la fureur des impies. Tout autre que Zesbet, dans le cruel etat où elle étoit réduite, auroit désespéré de son sort, et n' auroit fait aucun cas de ces précieuses reliques qu' elle trouva cachetées avec du musc ; mais Oucha les ayant respectées, elle les lut avec dévotion, se soumettant aux ordres de son père, et s' abandonnant toujours à la providence. Enfin elle découvrit dans un coin de ce grand coffre un morceau de parchemin sur lequel elle apperçut plusieurs lignes écrites en différens caractères qui lui étoient presque tous inconnus ; mais il lui fut aisé de lire celles qui étoient au haut de la page, et qui disoient : prends courage, Zesbet, espère au saint prophete, et souviens-toi des conseils de ton père... cette légère consolation fut accompagnée d' une autre ; ce fut celle d' une petite piece d' or qu' elle découvrit dans le fond du coffre ; elle la prit, remit les choses dans l' état où elle les avoit trouvées, et alla chercher les vivres et les soulagemens qui lui étoient nécessaires. Ce ne fut pas sans donner plus de la moitié de la piece d' or aux pauvres qui s' adressèrent à elle ; aussi se trouva-t-elle bientôt réduite à son premier état de malheur et d' embarras. Cependant elle se persuada qu' elle n' avoit pas assez bien cherché dans le coffre d' ébene, et n' ayant point d' autre ressource, elle revint encore le visiter ; elle lut les feuilles de la bible ; elle jetta les yeux sur le parchemin qui lui avoit parlé d' elle-même. Elle fut bien étonnée d' y trouver des caractères qu' elle n' avoit pas apperçus la première fois, et d' y lire : ce que l' on donne à Dieu, il le rend au centuple... en effet, elle trouva cent pieces d' or qui lui aidèrent à vivre pendant quelque tems. Enfin le coffre ne lui en laissa jamais manquer ; de façon qu' il lui fut aisé de soulager les pauvres à son gré, et de reprendre sa vieille esclave, qui ne pouvoit vivre éloignée d' elle ; car l' attachement que la vertu inspire ne peut être comparé. Zesbet vécut ainsi dans la pratique des bonnes oeuvres et de la prière, sans imaginer de finir autrement ses jours. Cependant, frappée d' avoir découvert sur le parchemin des caractères qu' elle n' y avoit point apperçus la première fois, elle alloit souvent l' examiner avec une attention d' autant plus scrupuleuse, qu' elle le regardoit comme la seule regle de sa conduite. Il y avoit environ trois ans que Zesbet vivoit à La Mecque comme si elle eût été dans le fond d' un désert, lorsqu' un jour, en examinant le parchemin, elle y lut distinctement : le bonheur de Zesbet approche, il faut qu' elle se marie... Zesbet n' avoit jamais eu aucune envie de se marier, mais un ordre si précis, et qu' elle ne pouvoit attribuer qu' au seul Oucha, la déterminèrent, quoiqu' avec peine, à prendre ce parti. Comment faire cependant pour y parvenir ? L' affaire étoit embarrassante, elle ne connoissoit personne, on l' avoit oubliée dans le monde. à qui pouvoit-elle s' adresser ? Mais que ne peut le respect que l' on doit à son père, quand il est vivement imprimé dans le coeur ! Elle prit donc le parti d' aller trouver le roi qui étoit à La Mecque, il s' appelloit Nophailah. Ce prince connu par ses vertus étoit d' un facile accès. Elle sortit donc un matin, couverte de son voile ; et pour n' avoir pas l' air d' en imposer, elle eut soin de porter avec elle le parchemin auquel elle vouloit obéir, et sur lequel il y avoit encore quatre lignes, dont la lecture lui étoit impossible. Zesbet se présenta devant le roi, qui donnoit lui-même audience devant la porte de son palais, et lui dit : sire, je vous prie de me donner un mari. Cette singulière demande surprit et fit sourire le roi, qui lui fit signe avec douceur d' attendre la fin de l' audience. Quand elle fut achevée, ce roi qui avoit beaucoup d' esprit, mais qui laissoit ordinairement parler son visir, pour juger de ses réponses, lui dit de faire approcher Zesbet, car elle s' étoit toujours tenue à l' écart, et toujours voilée. Elle obéit, et Nophailah lui demanda pour quelle raison elle vouloit avoir un mari de sa main. Sire, lui dit-elle, je n' ai plus de parens ; un roi doit être le père de ses sujets, c' est donc à vous à me marier. Cela est juste, visir, ce me semble, lui dit le roi. Oui, sire, lui répondit-il, cela est conséquent ; mais permettez-moi de lui faire quelques questions. Zesbet y satisfit avec autant de justesse que d' esprit ; et quand elle déclara qu' elle étoit fille d' Oucha, le visir s' écria : ô branche d' un tronc sans pareil ! Quoi, vous êtes la belle Zesbet ? Je croyois que vous aviez suivi votre vertueux père dans le sein des justes ; comment peut-on ne plus parler de vous ? Zesbet plus confiante qu' auparavant, leur fit le récit de ses aventures, et leur montra le parchemin qui lui donnoit ordre de se marier. Le roi l' examina, et les quatre dernières lignes lui furent aussi impossibles à déchiffrer qu' à son visir. Que ferons-nous ? Reprit Nophailah en se tournant de son côté. Je crois, lui répondit-il après y avoir un peu pensé, que ces dernières lignes doivent être lues par celui que le ciel lui destine pour époux ; sans cela, pourquoi seroient-elles d' un caractère différent ? Tu penses juste, reprit le roi, car je le pense comme toi ; mais comment le trouver, celui que le ciel lui destine ? Il faudroit, selon moi, reprit le visir, faire publier par toute la ville que vous voulez marier une fille aussi belle que sage à celui qui pourra lire des caractères qui vous sont inconnus. Zesbet viendra, continua-t-il, tous les matins à votre audience, elle présentera les caractères à ceux qui demanderont à les lire, et votre majesté jugera s' ils sont bien lus, ou par le sens qu' on leur donnera, ou par le caractère et les questions que vous pourrez faire à celui qui se sera présenté. Cela ne laisse pas d' avoir sa difficulté, reprit Nophailah ; mais nous n' avons point d' autre parti à prendre. Aussi-tôt il donna ses ordres, et la publication fut faite. Cependant, avant que de quitter Zesbet, il prit une inquiétude au roi. Visir, dit-il, il faudroit, ce me semble, juger un peu de sa beauté ; nous l' annonçons belle, je veux croire que tu l' as vue telle, mais que fais-tu si elle n' est point changée ? Le poëte fameux des anciens persans ne dit-il pas qu' il ne faut qu' un rien pour détruire la beauté ? ... je reconnois toujours votre prudence et votre équité, lui répondit le visir en s' inclinant profondément. Zesbet, que le roi juge de tes appas, lui dit-il. Elle obéit, et ils la trouvèrent si belle, qu' ils ne parlèrent que de ses charmes, long-tems même après qu' ils l' eurent congédiée. Il y avoit déja quelques jours que Zesbet presentoit inutilement ses caractères à l' audience du roi, lorsqu' il parut un jeune-homme très-beau et très-bien fait, qui lut sans peine la première ligne des quatre qui jusques-là étoient demeurées inconnues, et prononça d' une voix haute : Mahomet est l' ami de Dieu, il est plus élevé que les nues... mais il avoua qu' il ne pouvoit entendre les trois autres. Cet aveu persuada le roi et le visir que ce qu' il avoit lu étoit véritablement écrit. Cependant, avant de rien déterminer, le roi voulut lui faire quelques questions ; il lui demanda de quel pays étoient les caractères qu' il venoit de lire. Sire, lui répondit-il, ils sont d' une des plus anciennes langues que l' on parlât après la tour de Babel ; c' est une de celles que les sages emploient, et que j' ignorerois, si mon père, toujours occupé des sciences abstraites, ne me l' avoit apprise. Fort bien, dit le roi ; mais quel est ce Mahomet que tu viens de nommer ? Sire, lui répliqua-t-il, je crois que c' est un prophete que Dieu doit envoyer sur la terre ; il y a même, à ce que l' on dit, quelques livres composés par les sages qui en font mention. Nophailah demanda ensuite au fils du sage comment il se nommoit. Je m' appelle Abdal Motallab, reprit-il, et je suis de La Mecque. C' en est assez, poursuivit le roi ; Abdal Motallab, je te donne Zesbet, tu en as lu plus qu' aucun de ceux qui se sont présentés jusqu' ici ; rends Zesbet heureuse, et conduis-la chez elle, dit-il en les quittant. Les nouveaux époux prirent le chemin de la maison de Zesbet. Quand ils y furent arrivés, elle lui rendit un fidele compte de toutes ses aventures ; mais ce qu' elle lui apprit dans le plus grand détail le frappa moins que le nom d' Oucha ; il étoit si célebre parmi les sages, que son père lui en avoit fait mille fois l' éloge. Ses desirs alors se trouvèrent mêlés d' admiration en voyant la fille de ce grand homme ; mais en regardant un parchemin écrit avec tant d' art, que l' écriture n' étoit lue que selon les événemens, il apperçut au revers ces cruels mots écrits : le mari de Zesbet ne la peut approcher qu' il n' ait vu le saint prophete, elle lui sera fidelle pendant un an... ah ! Chère Zesbet, s' écria tendrement Abdal Motallab, pourquoi t' ai-je vue ? Je vais chercher le prophete, je connois trop l' importance des conseils des sages pour m' exposer plus long-tems avec toi, et il sortit. Zesbet demeura fort étonnée, cependant toujours résignée à la volonté de dieu, ainsi qu' aux ordres de son père. Mais voyant au bout de l' année qu' Abdal Motallab n' étoit point de retour, elle alla trouver le roi, qui la reçut encore avec la même bonté, et qui fit publier la même ordonnance. Après plusieurs tentatives inutiles, un docteur de la loi, de la ville de Médine, et nommé Aboutalab, lut la ligne qui suivoit celle d' Abdal Motallab, et qui disoit : Mahomet est le dépositaire des loix de dieu, il enveloppera la terre de sa parole ; ... mais il ne put aller plus loin. Zesbet lui fut donnée par les mêmes raisons ; elle eut la même confiance en lui, et lui parla comme elle avoit fait à Abdal Motallab ; et quand il eut examiné avec soin l' ordre de la séparation, il partit avec le même regret. La fin de l' année ne le vit point paroître, et Zesbet épousa de la même façon Yarab, de Médine, parent d' un cadi de cette ville, qui lut la troisième ligne ; elle disoit : Mahomet, le sauveur des croyans, est une île flottante qui offre son port à tous les naufrages... il se soumit encore à l' ordre du départ ; mais n' ayant pas été plus exact que les autres à reparoître au bout de l' année, Zesbet épousa Temimdari, qui lut la quatrième ligne ; elle signifioit : Mahomet, l' envoyé de dieu, va au-devant de celui dont le coeur le cherche... les trois premiers maris de Zesbet étoient fils de sages ; celui-ci n' avoit été qu' adopté par un des plus savans, à la vérité, mais jamais il n' avoit été initié dans les mystères ; il avoit pris le parti des armes, et servoit dans les troupes de Nophailah ; son devoir l' avoit éloigné de La Mecque, sa patrie, quand les trois premiers maris avoient lu les caractères, il n' avoit même jamais eu aucune connoissance de cet événement. Zesbet, toujours soumise aux volontés de son père, le conduisit chez elle, comme elle avoit fait les autres ; mais elle ne le trouva pas aussi docile pour la séparation. Je veux bien que ton père ait été un sage, lui dit-il avec vivacité ; je consens que Mahomet soit un jour envoyé de dieu ; comment cela peut-il m' engager à me séparer aujourd' hui de ma femme ? Crains une juste punition de ces discours impies, lui dit avec douceur l' aimable Zesbet. Mais un homme prévenu, un homme animé par les desirs fait-il aucune attention aux réflexions les plus sensées ? Peut-on même l' exiger ? Ainsi Temimdari résolu de n' être point aussi dupe que ses prédécesseurs, passa dans la cour pour quelque besoin, et feignant d' être frappé des menaces de Zesbet, il lui dit : ma femme, j' ai peur, parle-moi pour me rassurer. Sans rien imaginer de son côté, elle dit en plaisantant : génies, emportez-le ; depuis ce tems elle n' en entendit plus parler. Quelque surprenant que cet événement lui parût, comme elle étoit fort attachée à ses devoirs, elle lui garda une égale fidélité, et voulut attendre que l' année fût révolue avant de se déterminer au parti qu' elle prendroit ; car il n' y avoit plus de lignes à lire sur le parchemin. Elle passa donc encore cette année dans la pratique des vertus ; et n' ayant point apperçu de nouvelle écriture le jour que l' année fut expirée, elle se préparoit à sortir pour aller demander conseil au roi et à son visir ; car enfin les paroles étoient positives : il faut qu' elle se marie . Elle étoit dans ces saintes dispositions, lorsqu' elle entendit un grand bruit dans sa cour ; elle y courut, et vit, avec le plus grand étonnement, ses quatre maris, dont la jeunesse et la beauté n' étoient point altérées, ils avoient seulement l' air un peu fatigués. Ils n' avoient heureusement aucune espece d' armes sur eux ; car se trouvant les uns et les autres dans la maison de leur femme, la jalousie les animoit d' une fureur que rien n' auroit été capable de calmer. Cependant, au défaut des armes, ils étoient au moment de s' attaquer, tout sages qu' ils étoient ; tant la sagesse a peu de droits sur les coeurs passionnés ! Mais Zesbet leur parlant avec cette douceur que la pratique des vertus et la vérité inspirent toujours, leur dit : écoutez-moi, il est vrai que je vous ai tous épousés ; vous savez quels sont les ordres qui m' ont donnée à vous, je ne vous ai rien caché, et l' on ne peut vous avoir été plus fidelle. Après ce que j' ai souffert pour toi, s' écrièrent-ils tous en même-tems, te trouver mariée, non pas à un, mais à trois autres ! Cela peut-il se soutenir ? Vous auriez raison, leur dit encore Zesbet, si tout ce qui nous arrive étoit dans l' ordre naturel ; mais avez-vous jamais rien vu qui soit comparable à notre aventure ? J' ai suivi les ordres de mon père, je ne puis m' en repentir, je sais, comme vous, que j' aurois mal fait en tout autre cas ; mais enfin, avez-vous des nouvelles de Mahomet ? Oui, lui répondirent-ils tous à la fois ; l' avez-vous vu ? Reprit-elle. Tu pourras en juger, si tu veux savoir ce qui nous est arrivé, lui dirent-ils avec une égale vivacité. Zesbet consentit à les écouter ; le sort décida de l' ordre dans lequel ils feroient leur récit, après qu' elle les eut fait jurer de s' y soumettre, et de se donner l' un à l' autre une paisible audience. Voyons, interrompit Hudjiadge, en se retournant, comment tout ceci va se démêler ; sire, reprit Moradbak, j' ai bien peur que votre majesté ne soit pas satisfaite ; les histoires de ces quatre maris ont un peu d' uniformité, elles sont remplies de choses mystiques, que tout bon musulman devroit pourtant savoir... qu' importe ? Lui répliqua le roi ; ces choses-là, toutes belles et toutes nécessaires qu' elles puissent être, endorment tout aussi bien qu' aucune autre. Conte toujours, tu sais que je ne veux que dormir ; mais, sire, poursuivit Moradbak, je voudrois que votre majesté eût la bonté de me dire quand elle les aura entendues, quelle est l' histoire des quatre maris, qui lui aura fait le plus de plaisir ? Je te le dirai sans peine, lui répondit Hudjiadge, c' est une des choses que je fais le plus volontiers que de juger ; tu peux commencer, je t' écoute. Zesbet se plaça donc au milieu de ses quatre maris, poursuivit Moradbak ; et le sort étant tombé sur Abdal Mottallab, il prit ainsi la parole.