A
la Saint-René, couvre ton nez.
Couleurs et saveurs d'automne
Tous les ans, je ne peux me permettre de louper ce rendez-vous
avec l'automne.
Aucune ville ne sait célébrer l'automne comme le fait Eaubonne.
C'est dans un jardin public que se déroule tous les ans cette
petite fête sur trois jours, tournant autour d'un thème de l'automne;
cette année, c'est l'été indien.
Mais mon réel intérêt, ce sont les courges, ces montagnes de courges
de toutes les couleurs, dévalant telle une cascade sur leur étal,
et ces pommes savoureuses !!!
 Voici
un avant-goût de ce qui vous attend dans la [ gallerie]
Histoire de la naissance
de Mahomet - Comte de Caylus
Il y avoit un israélite nommé Oucha, qui vécut plusieurs années
dans la sainte ville de Jérusalem, sa patrie, long-tems après
la mort du prophete Salomon. Il étoit docteur de la loi ; et son
respect pour les livres de Moïse, étoit si grand, qu' il les méditoit
sans cesse ; les prédictions qui annonçoient la venue de Mahomet
et les louanges que Dieu lui donnoit lui-même, le saisirent d'
admiration. Le desir de s' instruire lui fit entreprendre de très-grands
voyages qui lui apprirent tous les secrets de la nature. Ainsi
toujours occupé de la venue du saint prophete, il fut de plus-en-plus
convaincu des bénédictions de dieu pour son grand ami, et pénétré
de la grandeur de ce qu' il apprendroit aux hommes ; mais il se
soumettoit à la nécessité de ne les point révéler. Les mêmes connoissances
lui avoient appris que Mahomet devoit naître à La Mecque, et cette
raison l' engagea à fixer son séjour dans cette ville prédestinée
par-dessus toutes celles qui ont existé, qui subsistent, et qui
seront élevées. Après avoir parcouru la ville avec le saint zele
qui l' y avoit conduit, il découvrit un espace qui n' étoit qu'
un grand jardin inculte ; il en baisa trois fois la terre, et
donna à celui qui le possédoit tout ce qu' il en voulut avoir
: l' argent est-il à considérer pour les choses saintes ? ...
il bâtit une belle maison sur ce terrein et résolut d' y terminer
ses jours. Son mérite et la réputation de sage qu' il avoit si
bien méritée lui firent bientôt trouver une femme qui le rendit
heureux. Il en eut, dès la première année, une fille qui fut nommée
Zesbet, et qui, devenue l' objet de son amour et de ses attentions,
se trouva dans la suite, quoique dans un âge très-peu avancé,
en état de connoître et de pratiquer la vertu. Une aussi bonne
éducation rendit son coeur préférable à sa beauté, quoiqu' elle
eût tous les avantages de la figure. Son teint plus blanc que
le plus bel albâtre oriental, ses yeux plus noirs que les plumes
du corbeau, ses joues plus vermeilles que le pavot de Perse, formoient
une des plus rares beautés. Oucha avoit souvent annoncé aux israélites
de La Mecque la venue du grand prophete ; mais loin de les persuader,
ils avoient voulu déchirer les feuillets sur lesquels ce grand
événement étoit si clairement énoncé. Oucha avoit eu même beaucoup
de peine à sauver de leur fureur les feuilles honorées de ces
divins passages. Il les avoit gardées avec soin et renfermées
comme son plus grand trésor, ne voulant point exposer les preuves
convaincantes de la bonté de dieu et de la gloire du saint prophete
à l' impiété des israélites. Le sage Oucha, par ses profondes
connoissances, possédoit des richesses immenses dont on ignoroit
la source ; sa maison étoit abondante et nombreuse en esclaves
; il y recevoit les étrangers comme ses enfans ; et jamais il
ne refusoit l' aumône. Il disoit souvent à sa fille qui le louoit
de ses bonnes actions et le félicitoit d' avoir assez de bien
pour les pouvoir exécuter : ma fille, ce n' est pas la valeur
des dons qui rend la charité recommandable, les pauvres peuvent
pratiquer les mêmes vertus que les riches ; la fumée du sandal
et de l' aloës s' éleve-t-elle plus haut que celle de la résine
? Oucha mourut enfin âgé de cent ans ; sa femme saisie de douleur
ne lui survécut que fort peu de jours. La perte de personnes qui
lui étoient aussi chères fut infiniment sensible à Zesbet, ce
fut à ce premier chagrin que l' on attribua la retraite à laquelle
elle se livra ; mais l' étonnement de tous ceux qui prétendoient
à sa possession redoubla, quand après quelques mois on ne la vit
point changer de conduite. L' étonnement fit ensuite place à l'
admiration, et l' admiration fit à son tour place à l' oubli ;
car le monde abandonne aisément ceux qui le veulent véritablement
éviter. Zesbet n' étoit âgée que de quinze ans ; mais son esprit
étoit absolument formé. Son père lui avoit recommandé, en lui
disant les derniers adieux, de ne jamais vendre la maison qu'
il lui laissoit, quelque chose qui lui pût arriver ; et cette
recommandation étoit suffisante pour l' engager à l' habiter toute
sa vie. Après s' être abandonnée quelque tems à la vivacité de
sa douleur, la raison engagea Zesbet à donner quelque ordre à
ses affaires. Elle ignoroit la source des trésors de son père
; tous les esclaves de sa maison n' en étoient pas mieux instruits.
On ne connoissoit aucun des parens du célebre Oucha, et Zesbet
étoit, pour ainsi dire, seule dans l' univers. Elle employa plusieurs
jours à parcourir toute la maison ; il n' y eut point d' endroit
qui ne fût inutilement visité ; on avoit à-peine trouvé quelque
argent pour les frais de sa sépulture. Dans cette situation, Zesbet
ne balança point à donner la liberté aux esclaves de l' un et
de l' autre sexe, et à ne réserver qu' une vieille pour la servir.
Elle fit ensuite vendre tous les meubles qu' elle trouva dans
la maison ; mais les meubles d' un sage ne sont pas ordinairement
d' une grande ressource. Aussi Zesbet n' en retira-t-elle qu'
une somme assez médiocre, avec laquelle elle résolut de vivre
dans lieu le plus reculé de la maison, en attendant les bontés
du ciel, auquel elle avoit mis sa confiance, suivant les paroles
que son père lui avoit dites souvent : le ciel récompense tôt
ou tard ceux qui suivent les conseils de la sagesse, et qui n'
abandonnent point la vertu . Les préceptes et les exemples d'
un père si sage étoient donc toujours présens à son esprit ; aussi,
malgré son peu d' opulence, qui lui fournissoit à-peine le nécessaire,
un pauvre qui frappoit à sa porte, ou qui se présentoit à elle
en allant faire ses prières, un malade dont sa vieille esclave
entendoit parler en allant chercher ce qui leur étoit nécessaire,
étoient assurés d' être secourus. Cependant l' argent diminua,
et Zesbet n' étant plus en état de nourrir sa vieille esclave,
se vit contrainte de lui donner la liberté. Cette séparation fut
sensible de part et d' autre, mais elle étoit indispensable. Cette
beauté que tout le monde se seroit empressé à secourir, et dont
tout le monde seroit devenu l' esclave, se trouva donc dans la
solitude la plus complette, oubliée de tous les habitans de La
Mecque, et de tous les jeunes-gens qui l' avoient vue dans la
maison de son père. L' idée de ses trésors, les avoit sans doute
autant attachés à elle, que sa beauté. Il y avoit environ deux
ans que le vertueux Oucha étoit allé jouir avec les anges blancs,
du bonheur de voir le saint prophete, lorsque les ressources de
Zesbet furent si épuisées, qu' un jour elle se trouva sans argent
et sans aucune provision. Celui qui ne se confie pas en dieu,
ne peut être heureux... Zesbet pratiqua cette grande vérité avec
tant de succès, qu' elle dormit encore ce jour-là comme à son
ordinaire, sans même avoir à son réveil le moindre desir de vendre
la maison qu' elle habitoit. Le fonds en étoit cependant plus
que suffisant pour la tirer de peine. Oucha lui avoit ordonné
de la garder, c' en étoit assez pour l' engager à tout souffrir.
Au point du jour, elle se leva avec cette tranquillité que ne
connoît point celui qui a quelque reproche à se faire, et vint
encore visiter l' appartement que son père avoit habité. Ces lieux
lui rappellèrent toute l' étendue de la perte qu' elle avoit faite,
et toute l' horreur de sa situation présente, elle répandit quelques
larmes. Mais enfin elle apperçut dans un arrière-cabinet un vieux
morceau de courroie qui tenoit au plancher, et auquel elle n'
avoit jamais fait attention. Par un mouvement de curiosité naturelle,
ou par une espérance sourde, pour ainsi dire, qui regne toujours
en nous, elle tira cette courroie, et leva par son moyen des planches
qui lui découvrirent un trappe dans laquelle elle apperçut un
coffre de cedre. Qui pourroit peindre sa joie ? Qui pourroit exprimer
la peine qu' elle eut à en faire l' ouverture ? Cependant elle
vint à-bout de le casser ; mais quelle douleur pour la pauvre
Zesbet, en voyant qu' il en renfermoit un autre d' ébene ! Nouveaux
travaux, nouvelles inquiétudes sur ce qu' elle trouveroit dans
celui-ci. Vingt fois elle fut obligée de se laisser tomber sur
le plancher, de lassitude, de foiblesse et de besoin. Enfin elle
parvint encore à en faire l' ouverture. Ce second coffre ne renfermoit
que les feuilles détachées du corps de la bible, qu' Oucha avoit
eu tant de peine à sauver de la fureur des impies. Tout autre
que Zesbet, dans le cruel etat où elle étoit réduite, auroit désespéré
de son sort, et n' auroit fait aucun cas de ces précieuses reliques
qu' elle trouva cachetées avec du musc ; mais Oucha les ayant
respectées, elle les lut avec dévotion, se soumettant aux ordres
de son père, et s' abandonnant toujours à la providence. Enfin
elle découvrit dans un coin de ce grand coffre un morceau de parchemin
sur lequel elle apperçut plusieurs lignes écrites en différens
caractères qui lui étoient presque tous inconnus ; mais il lui
fut aisé de lire celles qui étoient au haut de la page, et qui
disoient : prends courage, Zesbet, espère au saint prophete, et
souviens-toi des conseils de ton père... cette légère consolation
fut accompagnée d' une autre ; ce fut celle d' une petite piece
d' or qu' elle découvrit dans le fond du coffre ; elle la prit,
remit les choses dans l' état où elle les avoit trouvées, et alla
chercher les vivres et les soulagemens qui lui étoient nécessaires.
Ce ne fut pas sans donner plus de la moitié de la piece d' or
aux pauvres qui s' adressèrent à elle ; aussi se trouva-t-elle
bientôt réduite à son premier état de malheur et d' embarras.
Cependant elle se persuada qu' elle n' avoit pas assez bien cherché
dans le coffre d' ébene, et n' ayant point d' autre ressource,
elle revint encore le visiter ; elle lut les feuilles de la bible
; elle jetta les yeux sur le parchemin qui lui avoit parlé d'
elle-même. Elle fut bien étonnée d' y trouver des caractères qu'
elle n' avoit pas apperçus la première fois, et d' y lire : ce
que l' on donne à Dieu, il le rend au centuple... en effet, elle
trouva cent pieces d' or qui lui aidèrent à vivre pendant quelque
tems. Enfin le coffre ne lui en laissa jamais manquer ; de façon
qu' il lui fut aisé de soulager les pauvres à son gré, et de reprendre
sa vieille esclave, qui ne pouvoit vivre éloignée d' elle ; car
l' attachement que la vertu inspire ne peut être comparé. Zesbet
vécut ainsi dans la pratique des bonnes oeuvres et de la prière,
sans imaginer de finir autrement ses jours. Cependant, frappée
d' avoir découvert sur le parchemin des caractères qu' elle n'
y avoit point apperçus la première fois, elle alloit souvent l'
examiner avec une attention d' autant plus scrupuleuse, qu' elle
le regardoit comme la seule regle de sa conduite. Il y avoit environ
trois ans que Zesbet vivoit à La Mecque comme si elle eût été
dans le fond d' un désert, lorsqu' un jour, en examinant le parchemin,
elle y lut distinctement : le bonheur de Zesbet approche, il faut
qu' elle se marie... Zesbet n' avoit jamais eu aucune envie de
se marier, mais un ordre si précis, et qu' elle ne pouvoit attribuer
qu' au seul Oucha, la déterminèrent, quoiqu' avec peine, à prendre
ce parti. Comment faire cependant pour y parvenir ? L' affaire
étoit embarrassante, elle ne connoissoit personne, on l' avoit
oubliée dans le monde. à qui pouvoit-elle s' adresser ? Mais que
ne peut le respect que l' on doit à son père, quand il est vivement
imprimé dans le coeur ! Elle prit donc le parti d' aller trouver
le roi qui étoit à La Mecque, il s' appelloit Nophailah. Ce prince
connu par ses vertus étoit d' un facile accès. Elle sortit donc
un matin, couverte de son voile ; et pour n' avoir pas l' air
d' en imposer, elle eut soin de porter avec elle le parchemin
auquel elle vouloit obéir, et sur lequel il y avoit encore quatre
lignes, dont la lecture lui étoit impossible. Zesbet se présenta
devant le roi, qui donnoit lui-même audience devant la porte de
son palais, et lui dit : sire, je vous prie de me donner un mari.
Cette singulière demande surprit et fit sourire le roi, qui lui
fit signe avec douceur d' attendre la fin de l' audience. Quand
elle fut achevée, ce roi qui avoit beaucoup d' esprit, mais qui
laissoit ordinairement parler son visir, pour juger de ses réponses,
lui dit de faire approcher Zesbet, car elle s' étoit toujours
tenue à l' écart, et toujours voilée. Elle obéit, et Nophailah
lui demanda pour quelle raison elle vouloit avoir un mari de sa
main. Sire, lui dit-elle, je n' ai plus de parens ; un roi doit
être le père de ses sujets, c' est donc à vous à me marier. Cela
est juste, visir, ce me semble, lui dit le roi. Oui, sire, lui
répondit-il, cela est conséquent ; mais permettez-moi de lui faire
quelques questions. Zesbet y satisfit avec autant de justesse
que d' esprit ; et quand elle déclara qu' elle étoit fille d'
Oucha, le visir s' écria : ô branche d' un tronc sans pareil !
Quoi, vous êtes la belle Zesbet ? Je croyois que vous aviez suivi
votre vertueux père dans le sein des justes ; comment peut-on
ne plus parler de vous ? Zesbet plus confiante qu' auparavant,
leur fit le récit de ses aventures, et leur montra le parchemin
qui lui donnoit ordre de se marier. Le roi l' examina, et les
quatre dernières lignes lui furent aussi impossibles à déchiffrer
qu' à son visir. Que ferons-nous ? Reprit Nophailah en se tournant
de son côté. Je crois, lui répondit-il après y avoir un peu pensé,
que ces dernières lignes doivent être lues par celui que le ciel
lui destine pour époux ; sans cela, pourquoi seroient-elles d'
un caractère différent ? Tu penses juste, reprit le roi, car je
le pense comme toi ; mais comment le trouver, celui que le ciel
lui destine ? Il faudroit, selon moi, reprit le visir, faire publier
par toute la ville que vous voulez marier une fille aussi belle
que sage à celui qui pourra lire des caractères qui vous sont
inconnus. Zesbet viendra, continua-t-il, tous les matins à votre
audience, elle présentera les caractères à ceux qui demanderont
à les lire, et votre majesté jugera s' ils sont bien lus, ou par
le sens qu' on leur donnera, ou par le caractère et les questions
que vous pourrez faire à celui qui se sera présenté. Cela ne laisse
pas d' avoir sa difficulté, reprit Nophailah ; mais nous n' avons
point d' autre parti à prendre. Aussi-tôt il donna ses ordres,
et la publication fut faite. Cependant, avant que de quitter Zesbet,
il prit une inquiétude au roi. Visir, dit-il, il faudroit, ce
me semble, juger un peu de sa beauté ; nous l' annonçons belle,
je veux croire que tu l' as vue telle, mais que fais-tu si elle
n' est point changée ? Le poëte fameux des anciens persans ne
dit-il pas qu' il ne faut qu' un rien pour détruire la beauté
? ... je reconnois toujours votre prudence et votre équité, lui
répondit le visir en s' inclinant profondément. Zesbet, que le
roi juge de tes appas, lui dit-il. Elle obéit, et ils la trouvèrent
si belle, qu' ils ne parlèrent que de ses charmes, long-tems même
après qu' ils l' eurent congédiée. Il y avoit déja quelques jours
que Zesbet presentoit inutilement ses caractères à l' audience
du roi, lorsqu' il parut un jeune-homme très-beau et très-bien
fait, qui lut sans peine la première ligne des quatre qui jusques-là
étoient demeurées inconnues, et prononça d' une voix haute : Mahomet
est l' ami de Dieu, il est plus élevé que les nues... mais il
avoua qu' il ne pouvoit entendre les trois autres. Cet aveu persuada
le roi et le visir que ce qu' il avoit lu étoit véritablement
écrit. Cependant, avant de rien déterminer, le roi voulut lui
faire quelques questions ; il lui demanda de quel pays étoient
les caractères qu' il venoit de lire. Sire, lui répondit-il, ils
sont d' une des plus anciennes langues que l' on parlât après
la tour de Babel ; c' est une de celles que les sages emploient,
et que j' ignorerois, si mon père, toujours occupé des sciences
abstraites, ne me l' avoit apprise. Fort bien, dit le roi ; mais
quel est ce Mahomet que tu viens de nommer ? Sire, lui répliqua-t-il,
je crois que c' est un prophete que Dieu doit envoyer sur la terre
; il y a même, à ce que l' on dit, quelques livres composés par
les sages qui en font mention. Nophailah demanda ensuite au fils
du sage comment il se nommoit. Je m' appelle Abdal Motallab, reprit-il,
et je suis de La Mecque. C' en est assez, poursuivit le roi ;
Abdal Motallab, je te donne Zesbet, tu en as lu plus qu' aucun
de ceux qui se sont présentés jusqu' ici ; rends Zesbet heureuse,
et conduis-la chez elle, dit-il en les quittant. Les nouveaux
époux prirent le chemin de la maison de Zesbet. Quand ils y furent
arrivés, elle lui rendit un fidele compte de toutes ses aventures
; mais ce qu' elle lui apprit dans le plus grand détail le frappa
moins que le nom d' Oucha ; il étoit si célebre parmi les sages,
que son père lui en avoit fait mille fois l' éloge. Ses desirs
alors se trouvèrent mêlés d' admiration en voyant la fille de
ce grand homme ; mais en regardant un parchemin écrit avec tant
d' art, que l' écriture n' étoit lue que selon les événemens,
il apperçut au revers ces cruels mots écrits : le mari de Zesbet
ne la peut approcher qu' il n' ait vu le saint prophete, elle
lui sera fidelle pendant un an... ah ! Chère Zesbet, s' écria
tendrement Abdal Motallab, pourquoi t' ai-je vue ? Je vais chercher
le prophete, je connois trop l' importance des conseils des sages
pour m' exposer plus long-tems avec toi, et il sortit. Zesbet
demeura fort étonnée, cependant toujours résignée à la volonté
de dieu, ainsi qu' aux ordres de son père. Mais voyant au bout
de l' année qu' Abdal Motallab n' étoit point de retour, elle
alla trouver le roi, qui la reçut encore avec la même bonté, et
qui fit publier la même ordonnance. Après plusieurs tentatives
inutiles, un docteur de la loi, de la ville de Médine, et nommé
Aboutalab, lut la ligne qui suivoit celle d' Abdal Motallab, et
qui disoit : Mahomet est le dépositaire des loix de dieu, il enveloppera
la terre de sa parole ; ... mais il ne put aller plus loin. Zesbet
lui fut donnée par les mêmes raisons ; elle eut la même confiance
en lui, et lui parla comme elle avoit fait à Abdal Motallab ;
et quand il eut examiné avec soin l' ordre de la séparation, il
partit avec le même regret. La fin de l' année ne le vit point
paroître, et Zesbet épousa de la même façon Yarab, de Médine,
parent d' un cadi de cette ville, qui lut la troisième ligne ;
elle disoit : Mahomet, le sauveur des croyans, est une île flottante
qui offre son port à tous les naufrages... il se soumit encore
à l' ordre du départ ; mais n' ayant pas été plus exact que les
autres à reparoître au bout de l' année, Zesbet épousa Temimdari,
qui lut la quatrième ligne ; elle signifioit : Mahomet, l' envoyé
de dieu, va au-devant de celui dont le coeur le cherche... les
trois premiers maris de Zesbet étoient fils de sages ; celui-ci
n' avoit été qu' adopté par un des plus savans, à la vérité, mais
jamais il n' avoit été initié dans les mystères ; il avoit pris
le parti des armes, et servoit dans les troupes de Nophailah ;
son devoir l' avoit éloigné de La Mecque, sa patrie, quand les
trois premiers maris avoient lu les caractères, il n' avoit même
jamais eu aucune connoissance de cet événement. Zesbet, toujours
soumise aux volontés de son père, le conduisit chez elle, comme
elle avoit fait les autres ; mais elle ne le trouva pas aussi
docile pour la séparation. Je veux bien que ton père ait été un
sage, lui dit-il avec vivacité ; je consens que Mahomet soit un
jour envoyé de dieu ; comment cela peut-il m' engager à me séparer
aujourd' hui de ma femme ? Crains une juste punition de ces discours
impies, lui dit avec douceur l' aimable Zesbet. Mais un homme
prévenu, un homme animé par les desirs fait-il aucune attention
aux réflexions les plus sensées ? Peut-on même l' exiger ? Ainsi
Temimdari résolu de n' être point aussi dupe que ses prédécesseurs,
passa dans la cour pour quelque besoin, et feignant d' être frappé
des menaces de Zesbet, il lui dit : ma femme, j' ai peur, parle-moi
pour me rassurer. Sans rien imaginer de son côté, elle dit en
plaisantant : génies, emportez-le ; depuis ce tems elle n' en
entendit plus parler. Quelque surprenant que cet événement lui
parût, comme elle étoit fort attachée à ses devoirs, elle lui
garda une égale fidélité, et voulut attendre que l' année fût
révolue avant de se déterminer au parti qu' elle prendroit ; car
il n' y avoit plus de lignes à lire sur le parchemin. Elle passa
donc encore cette année dans la pratique des vertus ; et n' ayant
point apperçu de nouvelle écriture le jour que l' année fut expirée,
elle se préparoit à sortir pour aller demander conseil au roi
et à son visir ; car enfin les paroles étoient positives : il
faut qu' elle se marie . Elle étoit dans ces saintes dispositions,
lorsqu' elle entendit un grand bruit dans sa cour ; elle y courut,
et vit, avec le plus grand étonnement, ses quatre maris, dont
la jeunesse et la beauté n' étoient point altérées, ils avoient
seulement l' air un peu fatigués. Ils n' avoient heureusement
aucune espece d' armes sur eux ; car se trouvant les uns et les
autres dans la maison de leur femme, la jalousie les animoit d'
une fureur que rien n' auroit été capable de calmer. Cependant,
au défaut des armes, ils étoient au moment de s' attaquer, tout
sages qu' ils étoient ; tant la sagesse a peu de droits sur les
coeurs passionnés ! Mais Zesbet leur parlant avec cette douceur
que la pratique des vertus et la vérité inspirent toujours, leur
dit : écoutez-moi, il est vrai que je vous ai tous épousés ; vous
savez quels sont les ordres qui m' ont donnée à vous, je ne vous
ai rien caché, et l' on ne peut vous avoir été plus fidelle. Après
ce que j' ai souffert pour toi, s' écrièrent-ils tous en même-tems,
te trouver mariée, non pas à un, mais à trois autres ! Cela peut-il
se soutenir ? Vous auriez raison, leur dit encore Zesbet, si tout
ce qui nous arrive étoit dans l' ordre naturel ; mais avez-vous
jamais rien vu qui soit comparable à notre aventure ? J' ai suivi
les ordres de mon père, je ne puis m' en repentir, je sais, comme
vous, que j' aurois mal fait en tout autre cas ; mais enfin, avez-vous
des nouvelles de Mahomet ? Oui, lui répondirent-ils tous à la
fois ; l' avez-vous vu ? Reprit-elle. Tu pourras en juger, si
tu veux savoir ce qui nous est arrivé, lui dirent-ils avec une
égale vivacité. Zesbet consentit à les écouter ; le sort décida
de l' ordre dans lequel ils feroient leur récit, après qu' elle
les eut fait jurer de s' y soumettre, et de se donner l' un à
l' autre une paisible audience. Voyons, interrompit Hudjiadge,
en se retournant, comment tout ceci va se démêler ; sire, reprit
Moradbak, j' ai bien peur que votre majesté ne soit pas satisfaite
; les histoires de ces quatre maris ont un peu d' uniformité,
elles sont remplies de choses mystiques, que tout bon musulman
devroit pourtant savoir... qu' importe ? Lui répliqua le roi ;
ces choses-là, toutes belles et toutes nécessaires qu' elles puissent
être, endorment tout aussi bien qu' aucune autre. Conte toujours,
tu sais que je ne veux que dormir ; mais, sire, poursuivit Moradbak,
je voudrois que votre majesté eût la bonté de me dire quand elle
les aura entendues, quelle est l' histoire des quatre maris, qui
lui aura fait le plus de plaisir ? Je te le dirai sans peine,
lui répondit Hudjiadge, c' est une des choses que je fais le plus
volontiers que de juger ; tu peux commencer, je t' écoute. Zesbet
se plaça donc au milieu de ses quatre maris, poursuivit Moradbak
; et le sort étant tombé sur Abdal Mottallab, il prit ainsi la
parole.
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