Lost in anywhere / 10-09-1974

lundi 03 novembre 2003

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{#Edicules} Guimard

Un classement par lignes de métro des édicules qui ont porté à bout de bras l'image de l'art Déco et la renommée du métro parisien pendant de longues années. Il n'en reste aujourd'hui plus beaucoup, car souvent remplacés par d'ignobles amas de verre et de matériau d'une autre planète. Un patrimoine à conserver. http://metroguimard.free.fr/

A la recherche des {#villes} de France

{#01001} L'Abergement Clémenciat (Ain) 766 habitants
Origine du terme abergement

{#01002} L'Abergement de Varey (Ain) 177 habitants

{#01003} Ambérieu en Bugey (Ain) 12041 habitants
http://www.ville-amberieuenbugey.fr/ (très beau site)
http://www.ain-en-decouverte.com/villes/index11.html

Un site bien fait, très riche, permettant une bonne approche pour ceux qui sont amoureux des villes de France

Fables de Jean-Pierre Claris de {#Florian}

Le calife

Autrefois dans Bagdad le calife Almamon fit bâtir un palais plus beau, plus magnifique, que ne le fut jamais celui de Salomon. Cent colonnes d' albâtre en formoient le portique ; l' or, le jaspe, l' azur, décoroient le parvis ; dans les appartements embellis de sculpture, sous des lambris de cedre, on voyoit réunis et les trésors du luxe et ceux de la nature, les fleurs, les diamants, les parfums, la verdure, les myrtes odorants, les chefs-d' oeuvre de l' art, et les fontaines jaillissantes roulant leurs ondes bondissantes à côté des lits de brocard. Près de ce beau palais, juste devant l' entrée, une étroite chaumiere, antique et délabrée, d' un pauvre tisserand étoit l' humble réduit. Là, content du petit produit d' un grand travail, sans dette et sans soucis pénibles, le bon vieillard, libre, oublié, couloit des jours doux et paisibles, point envieux, point envié. J' ai déja dit que sa retraite masquoit le devant du palais. Le visir veut d' abord, sans forme de procès, qu' on abatte la maisonnette : mais le calife veut que d' abord on l' achete. Il fallut obéir, on va chez l' ouvrier, on lui porte de l' or. Non, gardez votre somme, répond doucement le pauvre homme ; je n' ai besoin de rien avec mon attelier. Et quant à ma maison, je ne puis m' en défaire : c' est là que je suis né, c' est là qu' est mort mon pere, je prétends y mourir aussi. Le calife, s' il veut, peut me chasser d' ici, il peut détruire ma chaumiere ; mais, s' il le fait, il me verra venir, chaque matin, sur la derniere pierre m' asseoir et pleurer ma misere : je connois Almamon, son coeur en gémira. Cet insolent discours excita la colere du visir, qui vouloit punir ce téméraire et sur-le-champ raser sa chétive maison. Mais le calife lui dit : non, j' ordonne qu' à mes frais elle soit réparée ; ma gloire tient à sa durée : je veux que nos neveux, en la considérant, y trouvent de mon regne un monument auguste ; en voyant le palais, ils diront, il fut grand ; en voyant la chaumiere, ils diront, il fut juste.

Le chien et le chat

Un chien vendu par son maître brisa sa chaîne, et revint au logis qui le vit naître. Jugez de ce qu' il devint lorsque, pour prix de son zele, il fut de cette maison reconduit par le bâton vers sa demeure nouvelle. Un vieux chat, son compagnon, voyant sa surprise extrême, en passant lui dit ce mot : tu croyois donc, pauvre sot, que c' est pour nous qu' on nous aime !

Les deux jardiniers

Deux freres jardiniers avoient par héritage un jardin dont chacun cultivoit la moitié ; liés d' une étroite amitié, ensemble ils faisoient leur ménage. L' un d' eux, appelé Jean, bel esprit, beau parleur, se croyoit un très grand docteur ; et Monsieur Jean passoit sa vie à lire l' almanach, à regarder le temps et la girouette et les vents. Bientôt, donnant l' essor à son rare génie, il voulut découvrir comment d' un pois tout seul des milliers de pois peuvent sortir si vîte ; pourquoi la graine du tilleul, qui produit un grand arbre, est pourtant plus petite que la feve qui meurt à deux pieds du terrain ; enfin par quel secret mystere cette feve qu' on seme au hasard sur la terre sait se retourner dans son sein, place en bas sa racine et pousse en haut sa tige. Tandis qu' il rêve et qu' il s' afflige de ne point pénétrer ces importants secrets, il n' arrose point son marais ; ses épinars et sa laitue sechent sur pied ; le vent du nord lui tue ses figuiers qu' il ne couvre pas. Point de fruits au marché, point d' argent dans la bourse ; et le pauvre docteur, avec ses almanachs, n' a que son frere pour ressource. Celui-ci, dès le grand matin, travailloit en chantant quelque joyeux refrain, béchoit, arrosoit tout du pêcher à l' oseille. Sur ce qu' il ignoroit sans vouloir discourir, il semoit bonnement pour pouvoir recueillir. Aussi dans son terrain tout venoit à merveille ; il avoit des écus, des fruits et du plaisir. Ce fut lui qui nourrit son frere ; et quand Monsieur Jean tout surpris s' en vint lui demander comment il savoit faire : mon ami, lui dit-il, voici tout le mystere : je travaille, et tu réfléchis ; lequel rapporte davantage ? Tu te tourmentes, je jouis ; qui de nous deux est le plus sage ?

Le vacher et le garde-chasse

Colin gardoit un jour les vaches de son pere ; Colin n' avoit pas de bergere, et s' ennuyoit tout seul. Le garde sort du bois : depuis l' aube, dit-il, je cours dans cette plaine après un vieux chevreuil que j' ai manqué deux fois et qui m' a mis tout hors d' haleine. Il vient de passer par là bas, lui répondit Colin : mais, si vous êtes las, reposez-vous, gardez mes vaches à ma place, et j' irai faire votre chasse ; je réponds du chevreuil. -ma foi, je le veux bien. Tiens, voilà mon fusil, prends avec toi mon chien, va le tuer. Colin s' apprête, s' arme, appelle Sultan. Sultan, quoiqu' à regret, court avec lui vers la forêt. Le chien bat les buissons ; il va, vient, sent, arrête, et voilà le chevreuil... Colin impatient tire aussitôt, manque la bête, et blesse le pauvre Sultan. à la suite du chien qui crie, Colin revient à la prairie. Il trouve le garde ronflant ; de vaches, point ; elles étoient volées. Le malheureux Colin, s' arrachant les cheveux, parcourt en gémissant les monts et les vallées ; il ne voit rien. Le soir, sans vaches, tout honteux, Colin retourne chez son pere, et lui conte en tremblant l' affaire. Celui-ci, saisissant un bâton de cormier, corrige son cher fils de ses folles idées, puis lui dit : chacun son métier, les vaches seront bien gardées.

La coquette et l'abeille

Chloé, jeune, jolie, et sur-tout fort coquette, tous les matins, en se levant, se mettoit au travail, j' entends à sa toilette ; et là, souriant, minaudant, elle disoit à son cher confident les peines, les plaisirs, les projets de son ame. Une abeille étourdie arrive en bourdonnant. Au secours ! Au secours ! Crie aussitôt la dame : venez, Lise, Marton, accourez promptement ; chassez ce monstre ailé. Le monstre insolemment aux levres de Chloé se pose. Chloé s' évanouit, et Marton en fureur saisit l' abeille et se dispose à l' écraser. Hélas ! Lui dit avec douceur l' insecte malheureux, pardonnez mon erreur ; la bouche de Chloé me sembloit une rose, et j' ai cru... ce seul mot à Chloé rend ses sens. Faisons grace, dit-elle, à son aveu sincere : d' ailleurs sa piquure est légere ; depuis qu' elle te parle, à peine je la sens. Que ne fait-on passer avec un peu d' encens !

La mort

La mort, reine du monde, assembla certain jour, dans les enfers, toute sa cour. Elle vouloit choisir un bon premier ministre qui rendît ses états encor plus florissants. Pour remplir cet emploi sinistre, du fond du noir Tartare avancent à pas lents la fievre, la goutte et la guerre. C' étoient trois sujets excellents ; tout l' enfer et toute la terre rendoient justice à leurs talents. La mort leur fit accueil. La peste vint ensuite. On ne pouvoit nier qu' elle n' eût du mérite, nul n' osoit lui rien disputer ; lorsque d' un médecin arriva la visite, et l' on ne sut alors qui devoit l' emporter. La mort même étoit en balance : mais, les vices étant venus, dès ce moment la mort n' hésita plus, elle choisit l' intempérance.

Le chateau de cartes

Un bon mari, sa femme, et deux jolis enfants, couloient en paix leurs jours dans le simple hermitage où, paisibles comme eux, vécurent leurs parents. Ces époux, partageant les doux soins du ménage, cultivoient leur jardin, recueilloient leurs moissons, et le soir, dans l' été soupant sous le feuillage, dans l' hiver devant leurs tisons, ils prêchoient à leurs fils la vertu, la sagesse, leur parloient du bonheur qu' ils procurent toujours : le pere par un conte égayoit ses discours, la mere par une caresse. L' aîné de ces enfants, né grave, studieux, lisoit et méditoit sans cesse ; le cadet, vif, léger, mais plein de gentillesse, sautoit, rioit toujours, ne se plaisoit qu' aux jeux. Un soir, selon l' usage, à côté de leur pere, assis près d' une table où s' appuyoit la mere, l' aîné lisoit Rollin ; le cadet, peu soigneux d' apprendre les hauts faits des romains ou des parthes, employoit tout son art, toutes ses facultés, à joindre, à soutenir par les quatre côtés un fragile château de cartes. Il n' en respiroit pas d' attention, de peur. Tout-à-coup voici le lecteur qui s' interrompt : papa, dit-il, daigne m' instruire pourquoi certains guerriers sont nommés conquérants, et d' autres fondateurs d' empire : ces deux noms sont-ils différents ? Le pere méditoit une réponse sage, lorsque son fils cadet, transporté de plaisir, après tant de travail, d' avoir pu parvenir à placer son second étage, s' écrie : il est fini ! Son frere murmurant se fâche, et d' un seul coup détruit son long ouvrage ; et voilà le cadet pleurant. Mon fils, répond alors le pere, le fondateur, c' est votre frere, et vous êtes le conquérant.

Le lierre et le thym

Que je te plains, petite plante ! Disoit un jour le lierre au thym : toujours ramper, c' est ton destin ; ta tige chétive et tremblante sort à peine de terre, et la mienne dans l' air, unie au chêne altier que chérit Jupiter, s' élance avec lui dans la nue. Il est vrai, dit le thym, ta hauteur m' est connue ; je ne puis sur ce point disputer avec toi : mais je me soutiens par moi-même ; et, sans cet arbre, appui de ta foiblesse extrême, tu ramperois plus bas que moi. Traducteurs, éditeurs, faiseurs de commentaires, qui nous parlez toujours de grec ou de latin dans vos discours préliminaires, retenez ce que dit le thym.

Le chat et la lunette

Un chat sauvage et grand chasseur s' établit, pour faire bombance, dans le parc d' un jeune seigneur où lapins et perdrix étoient en abondance. Là, ce nouveau Nembrod, la nuit comme le jour, à la course, à l' affût également habile, poursuivoit, attendoit, immoloit tour-à-tour et quadrupede et volatile. Les gardes épioient l' insolent braconnier ; mais, dans le fort du bois caché près d' un terrier, le drôle trompoit leur adresse. Cependant il craignoit d' être pris à la fin, et se plaignoit que la vieillesse lui rendît l' oeil moins sûr, moins fin. Ce penser lui causoit souvent de la tristesse ; lorsqu' un jour il rencontre un petit tuyau noir garni par ses deux bouts de deux glaces bien nettes : c' étoit une de ces lunettes faites pour l' opéra, que par hasard, un soir, le maître avoit perdue en ce lieu solitaire. Le chat d' abord la considere, la touche de sa griffe, et de l' extrémité la fait à petits coups rouler sur le côté, court après, s' en saisit, l' agite, la remue, étonné que rien n' en sortît. Il s' avise à la fin d' appliquer à sa vue le verre d' un des bouts, c' étoit le plus petit. Alors il apperçoit sous la verte coudrette un lapin que ses yeux tout seuls ne voyoient pas. Ah ! Quel trésor ! Dit-il en serrant sa lunette, et courant au lapin qu' il croit à quatre pas. Mais il entend du bruit ; il reprend sa machine, s' en sert par l' autre bout, et voit dans le lointain le garde qui vers lui chemine. Pressé par la peur, par la faim, il reste un moment incertain, hésite, réfléchit, puis de nouveau regarde : mais toujours le gros bout lui montre loin le garde, et le petit tout près lui fait voir le lapin. Croyant avoir le temps, il va manger la bête ; le garde est à vingt pas qui vous l' ajuste au front, lui met deux balles dans la tête, et de sa peau fait un manchon. Chacun de nous a sa lunette, qu' il retourne suivant l' objet ; on voit là-bas ce qui déplaît, on voit ici ce qu' on souhaite.

Le jeune homme et le vieillard

De grace, apprenez-moi comment l' on fait fortune, demandoit à son pere un jeune ambitieux. Il est, dit le vieillard, un chemin glorieux, c' est de se rendre utile à la cause commune, de prodiguer ses jours, ses veilles, ses talents, au service de la patrie. -oh ! Trop pénible est cette vie, je veux des moyens moins brillants. -il en est de plus sûrs, l' intrigue... -elle est trop vile, sans vice et sans travail je voudrois m' enrichir. -eh bien ! Sois un simple imbécille, j' en ai vu beaucoup réussir.

La taupe et les lapins

Chacun de nous souvent connoît bien ses défauts : en convenir, c' est autre chose ; on aime mieux souffrir de véritables maux que d' avouer qu' ils en sont cause. Je me souviens à ce sujet d' avoir été témoin d' un fait fort étonnant et difficile à croire : mais je l' ai vu, voici l' histoire. Près d' un bois, le soir, à l' écart, dans une superbe prairie, des lapins s' amusoient, sur l' herbette fleurie, à jouer au colin-maillard. Des lapins ! Direz-vous, la chose est impossible. Rien n' est plus vrai pourtant : une feuille flexible sur les yeux de l' un d' eux en bandeau s' appliquoit, et puis sous le cou se nouoit. Un instant en faisoit l' affaire. Celui que ce ruban privoit de la lumiere se plaçoit au milieu ; les autres alentour sautoient, dansoient, faisoient merveilles, s' éloignoient, venoient tour-à-tour tirer sa queue ou ses oreilles. Le pauvre aveugle alors, se retournant soudain, sans craindre pot au noir, jette au hasard la patte ; mais la troupe échappe à la hâte, il ne prend que du vent, il se tourmente en vain, il y sera jusqu' à demain. Une taupe assez étourdie, qui sous terre entendit ce bruit, sort aussitôt de son réduit et se mêle dans la partie. Vous jugez que, n' y voyant pas, elle fut prise au premier pas. Messieurs, dit un lapin, ce seroit conscience, et la justice veut qu' à notre pauvre soeur nous fassions un peu de faveur ; elle est sans yeux et sans défense : ainsi je suis d' avis... non, répond avec feu la taupe, je suis prise, et prise de bon jeu ; mettez-moi le bandeau. -très volontiers, ma chere, le voici ; mais je crois qu' il n' est pas nécessaire que nous serrions le noeud bien fort. -pardonnez-moi, monsieur, reprit-elle en colere, serrez bien, car j' y vois... serrez, j' y vois encor.

Le rossignol et le prince

Un jeune prince, avec son gouverneur, se promenoit dans un bocage, et s' ennuyoit suivant l' usage ; c' est le profit de la grandeur. Un rossignol chantoit sous le feuillage : le prince l' apperçoit, et le trouve charmant ; et, comme il étoit prince, il veut dans le moment l' attraper et le mettre en cage. Mais pour le prendre il fait du bruit, et l' oiseau fuit. Pourquoi donc, dit alors son altesse en colere, le plus aimable des oiseaux se tient-il dans les bois, farouche et solitaire, tandis que mon palais est rempli de moineaux ? C' est, lui dit le mentor, afin de vous instruire de ce qu' un jour vous devez éprouver : les sots savent tous se produire ; le mérite se cache, il faut l' aller trouver.

L'aveugle et le paralytique

Aidons-nous mutuellement, la charge des malheurs en sera plus légere ; le bien que l' on fait à son frere pour le mal que l' on souffre est un soulagement. Confucius l' a dit ; suivons tous sa doctrine : pour la persuader aux peuples de la Chine, il leur contoit le trait suivant. Dans une ville de l' Asie il existoit deux malheureux, l' un perclus, l' autre aveugle, et pauvres tous les deux. Ils demandoient au ciel de terminer leur vie : mais leurs cris étoient superflus, ils ne pouvoient mourir. Notre paralytique, couché sur un grabat dans la place publique, souffroit sans être plaint ; il en souffroit bien plus. L' aveugle, à qui tout pouvoit nuire, étoit sans guide, sans soutien, sans avoir même un pauvre chien pour l' aimer et pour le conduire. Un certain jour il arriva que l' aveugle à tâtons, au détour d' une rue, près du malade se trouva ; il entendit ses cris, son ame en fut émue. Il n' est tels que les malheureux pour se plaindre les uns les autres. J' ai mes maux, lui dit-il, et vous avez les vôtres : unissons-les, mon frere ; ils seront moins affreux. Hélas ! Dit le perclus, vous ignorez, mon frere, que je ne puis faire un seul pas ; vous-même vous n' y voyez pas : à quoi nous serviroit d' unir notre misere ? à quoi ? Répond l' aveugle, écoutez : à nous deux nous possédons le bien à chacun nécessaire ; j' ai des jambes, et vous des yeux. Moi, je vais vous porter ; vous, vous serez mon guide : vos yeux dirigeront mes pas mal assurés, mes jambes à leur tour iront où vous voudrez : ainsi, sans que jamais notre amitié décide qui de nous deux remplit le plus utile emploi, je marcherai pour vous, vous y verrez pour moi.

Pandore

Quand Pandore eut reçu la vie, chaque dieu de ses dons s' empressa de l' orner. Vénus, malgré sa jalousie, détacha sa ceinture et vint la lui donner. Jupiter, admirant cette jeune merveille, craignoit pour les humains ses attraits enchanteurs. Vénus rit de sa crainte, et lui dit à l' oreille : elle blessera bien des coeurs ; mais j' ai caché dans ma ceinture les caprices pour affoiblir le mal que fera sa blessure, et les faveurs pour en guérir.

La mère, l'enfant et les sarigues

à Madame De La Briche.
Vous, de qui les attraits, la modeste douceur, savent tout obtenir et n' osent rien prétendre, vous que l' on ne peut voir sans devenir plus tendre, et qu' on ne peut aimer sans devenir meilleur, je vous respecte trop pour parler de vos charmes, de vos talents, de votre esprit... vous aviez déja peur ; bannissez vos alarmes, c' est de vos vertus qu' il s' agit. Je veux peindre en mes vers des meres le modele, le sarigue, animal peu connu parmi nous, mais dont les soins touchants et doux, dont la tendresse maternelle, seront de quelque prix pour vous. Le fond du conte est véritable : Buffon m' en est garant ; qui pourroit en douter ? D' ailleurs tout dans ce genre a droit d' être croyable, lorsque c' est devant vous qu' on peut le raconter. Maman, disoit un jour à la plus tendre mere un enfant péruvien sur ses genoux assis, quel est cet animal qui, dans cette bruyere, se promene avec ses petits ? Il ressemble au renard. Mon fils, répondit-elle, du sarigue c' est la femelle ; nulle mere pour ses enfants n' eut jamais plus d' amour, plus de soins vigilants. La nature a voulu seconder sa tendresse, et lui fit près de l' estomac une poche profonde, une espece de sac, où ses petits, quand un danger les presse, vont mettre à couvert leur foiblesse. Fais du bruit, tu verras ce qu' ils vont devenir. L' enfant frappe des mains ; la sarigue attentive se dresse, et, d' une voix plaintive, jette un cri ; les petits aussitôt d' accourir, et de s' élancer vers la mere, en cherchant dans son sein leur retraite ordinaire. La poche s' ouvre, les petits en un moment y sont blottis, ils disparoissent tous ; la mere avec vîtesse s' enfuit emportant sa richesse. La péruvienne alors dit à l' enfant surpris : si jamais le sort t' est contraire, souviens-toi du sarigue, imite-le, mon fils : l' asyle le plus sûr est le sein d' une mere.

Le bon homme et le trésor

Un bon homme de mes parents, que j' ai connu dans mon jeune âge, se faisoit adorer de tout son voisinage ; consulté, vénéré des petits et des grands, il vivoit dans sa terre en véritable sage. Il n' avoit pas beaucoup d' écus, mais cependant assez pour vivre dans l' aisance ; en revanche force vertus, du sens, de l' esprit par-dessus, et cette aménité que donne l' innocence. Quand un pauvre venoit le voir, s' il avoit de l' argent, il donnoit des pistoles ; et s' il n' en avoit point, du moins par ses paroles il lui rendoit un peu de courage et d' espoir. Il raccommodoit les familles, corrigeoit doucement les jeunes étourdis, rioit avec les jeunes filles, et leur trouvoit de bons maris. Indulgent aux défauts des autres, il répétoit souvent : n' avons-nous pas les nôtres ? Ceux-ci sont nés boiteux, ceux-là sont nés bossus, l' un un peu moins, l' autre un peu plus : la nature de cent manieres voulut nous affliger : marchons ensemble en paix ; le chemin est assez mauvais sans nous jeter encor des pierres. Or il arriva certain jour que notre bon vieillard trouva dans une tour un trésor caché sous la terre. D' abord il n' y voit qu' un moyen de pouvoir faire plus de bien ; il le prend, l' emporte et le serre. Puis, en réfléchissant, le voilà qui se dit : cet or que j' ai trouvé feroit plus de profit si j' en augmentois mon domaine ; j' aurois plus de vassaux, je serois plus puissant. Je peux mieux faire encor : dans la ville prochaine achetons une charge, et soyons président. Président ! Cela vaut la peine. Je n' ai pas fait mon droit ; mais, avec mon argent, on m' en dispensera, puisque cela s' achete. Tandis qu' il rêve et qu' il projette, sa servante vient l' avertir que les jeunes gens du village dans la cour du château sont à se divertir. Le dimanche, c' étoit l' usage, le seigneur se plaisoit à danser avec eux. Oh ! Ma foi, répond-il, j' ai bien d' autres affaires ; que l' on danse sans moi. L' esprit plein de chimeres, il s' enferme tout seul pour se tourmenter mieux. Ensuite il va joindre à sa somme un petit sac d' argent, reste du mois dernier. Dans l' instant arrive un pauvre homme qui tout en pleurs vient le prier de vouloir lui prêter vingt écus pour sa taille : le collecteur, dit-il, va me mettre en prison, et n' a laissé dans ma maison que six enfants sur de la paille. Notre nouveau Crésus lui répond durement qu' il n' est point en argent comptant. Le pauvre malheureux le regarde, soupire, et s' en retourne sans mot dire. Mais il n' étoit pas loin, que notre bon seigneur retrouve tout-à-coup son coeur ; il court au paysan, l' embrasse, de cent écus lui fait le don, et lui demande encor pardon. Ensuite il fait crier que sur la grande place le village assemblé se rende dans l' instant. On obéit : notre bon homme arrive avec toute sa somme, en un seul monceau la répand. Mes amis, leur dit-il, vous voyez cet argent : depuis qu' il m' appartient, je ne suis plus le même, mon ame est endurcie, et la voix du malheur n' arrive plus jusqu' à mon coeur. Mes enfants, sauvez-moi de ce péril extrême ; prenez et partagez ce dangereux métal ; emportez votre part chacun dans votre asyle : entre tous divisé, cet or peut être utile ; réuni chez un seul, il ne fait que du mal. Soyons contents du nécessaire sans jamais souhaiter de trésors superflus : il faut les redouter autant que la misere, comme elle ils chassent les vertus.

Le vieux arbre et le jardinier

Un jardinier, dans son jardin, avoit un vieux arbre stérile ; c' étoit un grand poirier qui jadis fut fertile : mais il avoit vieilli, tel est notre destin. Le jardinier ingrat veut l' abattre un matin ; le voilà qui prend sa cognée. Au premier coup l' arbre lui dit : respecte mon grand âge, et souviens-toi du fruit que je t' ai donné chaque année. La mort va me saisir, je n' ai plus qu' un instant, n' assassine pas un mourant qui fut ton bienfaiteur. Je te coupe avec peine, répond le jardinier ; mais j' ai besoin de bois. Alors, gazouillant à la fois, de rossignols une centaine s' écrie : épargne-le, nous n' avons plus que lui : lorsque ta femme vient s' asseoir sous son ombrage, nous la réjouissons par notre doux ramage ; elle est seule souvent, nous charmons son ennui. Le jardinier les chasse et rit de leur requête ; il frappe un second coup. D' abeilles un essaim sort aussitôt du tronc, en lui disant : arrête, écoute-nous, homme inhumain : si tu nous laisses cet asyle, chaque jour nous te donnerons un miel délicieux dont tu peux à la ville porter et vendre les rayons : cela te touche-t-il ? J' en pleure de tendresse, répond l' avare jardinier : eh ! Que ne dois-je pas à ce pauvre poirier qui m' a nourri dans sa jeunesse ? Ma femme quelquefois vient ouir ces oiseaux ; c' en est assez pour moi : qu' ils chantent en repos. Et vous, qui daignerez augmenter mon aisance, je veux pour vous de fleurs semer tout ce canton. Cela dit, il s' en va, sûr de sa récompense, et laisse vivre le vieux tronc. Comptez sur la reconnoissance quand l' intérêt vous en répond.

La brebis et le chien

La brebis et le chien, de tous les temps amis, se racontoient un jour leur vie infortunée. Ah ! Disoit la brebis, je pleure et je frémis quand je songe aux malheurs de notre destinée. Toi, l' esclave de l' homme, adorant des ingrats, toujours soumis, tendre et fidele, tu reçois, pour prix de ton zele, des coups et souvent le trépas. Moi, qui tous les ans les habille, qui leur donne du lait, et qui fume leurs champs, je vois chaque matin quelqu' un de ma famille assassiné par ces méchants. Leurs confreres les loups dévorent ce qui reste. Victimes de ces inhumains, travailler pour eux seuls, et mourir par leurs mains, voilà notre destin funeste ! Il est vrai, dit le chien : mais crois-tu plus heureux les auteurs de notre misere ? Va, ma soeur, il vaut encor mieux souffrir le mal que de le faire.

Le troupeau de Colas

Dès la pointe du jour, sortant de son hameau, Colas, jeune pasteur d' un assez beau troupeau, le conduisoit au pâturage. Sur sa route il trouve un ruisseau que, la nuit précédente, un effroyable orage avoit rendu torrent : comment passer cette eau ? Chien, brebis et berger, tout s' arrête au rivage. En faisant un circuit l' on eût gagné le pont ; c' étoit bien le plus sûr, mais c' étoit le plus long : Colas veut abréger. D' abord il considere qu' il peut franchir cette riviere ; et, comme ses beliers sont forts, il conclut que sans grands efforts le troupeau sautera. Cela dit, il s' élance ; son chien saute après lui ; beliers d' entrer en danse, à qui mieux mieux, courage, allons ! Après les beliers, les moutons ; tout est en l' air, tout saute, et Colas les excite, en s' applaudissant du moyen. Les beliers, les moutons, sauterent assez bien : mais les brebis vinrent ensuite, les agneaux, les vieillards, les foibles, les peureux, les mutins, corps toujours nombreux, qui refusoient le saut ou sautoient de colere, et, soit foiblesse, soit dépit, se laissoient choir dans la riviere. Il s' en noya le quart ; un autre quart s' enfuit, et sous la dent du loup périt. Colas, réduit à la misere, s' apperçut, mais trop tard, que pour un bon pasteur le plus court n' est pas le meilleur.

Les deux chats

Deux chats qui descendoient du fameux Rodilard, et dignes tous les deux de leur noble origine, différoient d' embonpoint : l' un étoit gras à lard, c' étoit l' aîné ; sous son hermine d' un chanoine il avoit la mine, tant il étoit dodu, potelé, frais et beau : le cadet n' avoit que la peau collée à sa tranchante échine. Cependant ce cadet, du matin jusqu' au soir, de la cave à la gouttiere trottoit, couroit, il falloit voir, sans en faire meilleure chere. Enfin, un jour, au désespoir, il tint ce discours à son frere : explique-moi par quel moyen, passant ta vie à ne rien faire, moi travaillant toujours, on te nourrit si bien, et moi si mal. La chose est claire, lui répondit l' aîné : tu cours tout le logis pour manger rarement quelque maigre souris... -n' est-ce pas mon devoir ? -d' accord, cela peut être : mais moi je reste auprès du maître ; je sais l' amuser par mes tours. Admis à ses repas sans qu' il me réprimande, je prends de bons morceaux, et puis je les demande en faisant patte de velours, tandis que toi, pauvre imbécille, tu ne sais rien que le servir, va, le secret de réussir, c' est d' être adroit, non d' être utile.

Le singe qui montre la lanterne magique

Messieurs les beaux esprits dont la prose et les vers sont d' un style pompeux et toujours admirable, mais que l' on n' entend point, écoutez cette fable, et tâchez de devenir clairs. Un homme qui montroit la lanterne magique avoit un singe dont les tours attiroient chez lui grand concours : Jacqueau, c' étoit son nom, sur la corde élastique dansoit et voltigeoit au mieux, puis faisoit le saut périlleux, et puis sur un cordon, sans que rien le soutienne, le corps droit, fixe, d' à-plomb, notre Jacqueau fait tout du long l' exercice à la prussienne. Un jour qu' au cabaret son maître étoit resté (c' étoit, je pense, un jour de fête), notre singe en liberté veut faire un coup de sa tête. Il s' en va rassembler les divers animaux qu' il peut rencontrer dans la ville ; chiens, chats, poulets, dindons, pourceaux, arrivent bientôt à la file. Entrez, entrez, messieurs, crioit notre Jacqueau ; c' est ici, c' est ici qu' un spectacle nouveau vous charmera gratis : oui, messieurs, à la porte on ne prend point d' argent, je fais tout pour l' honneur. à ces mots, chaque spectateur va se placer, et l' on apporte la lanterne magique ; on ferme les volets, et, par un discours fait exprès, Jacqueau prépare l' auditoire. Ce morceau vraiment oratoire fit bâiller, mais on applaudit. Content de son succès, notre singe saisit un verre peint qu' il met dans sa lanterne. Il sait comment on le gouverne, et crie en le poussant : est-il rien de pareil ? Messieurs, vous voyez le soleil, ses rayons et toute sa gloire. Voici présentement la lune ; et puis l' histoire d' Adam, d' éve et des animaux... voyez, messieurs, comme ils sont beaux ! Voyez la naissance du monde ; voyez... les spectateurs, dans une nuit profonde, écarquilloient leurs yeux et ne pouvoient rien voir ; l' appartement, le mur, tout étoit noir. Ma foi, disoit un chat, de toutes les merveilles dont il étourdit nos oreilles, le fait est que je ne vois rien. Ni moi non plus, disoit un chien. Moi, disoit un dindon, je vois bien quelque chose ; mais je ne sais pour quelle cause je ne distingue pas très bien. Pendant tous ces discours, le Cicéron moderne parloit éloquemment et ne se lassoit point. Il n' avoit oublié qu' un point, c' étoit d' éclairer sa lanterne.

L'enfant et le miroir

Un enfant élevé dans un pauvre village revint chez ses parents, et fut surpris d' y voir un miroir. D' abord il aima son image ; et puis, par un travers bien digne d' un enfant, et même d' un être plus grand, il veut outrager ce qu' il aime, lui fait une grimace, et le miroir la rend. Alors son dépit est extrême ; il lui montre un poing menaçant, il se voit menacé de même. Notre marmot fâché s' en vient, en frémissant, battre cette image insolente ; il se fait mal aux mains. Sa colere en augmente ; et, furieux, au désespoir, le voilà devant ce miroir, criant, pleurant, frappant la glace. Sa mere, qui survient, le console, l' embrasse, tarit ses pleurs, et doucement lui dit : n' as-tu pas commencé par faire la grimace à ce méchant enfant qui cause ton dépit ? -oui. -regarde à présent : tu souris, il sourit ; tu tends vers lui les bras, il te les tend de même ; tu n' es plus en colere, il ne se fâche plus : de la société tu vois ici l' emblême ; le bien, le mal, nous sont rendus.

Le bouvreuil et le corbeau

Un bouvreuil, un corbeau, chacun dans une cage, habitoient le même logis. L' un enchantoit par son ramage la femme, le mari, les gens, tout le ménage : l' autre les fatiguoit sans cesse de ses cris ; il demandoit du pain, du rôti, du fromage, qu' on se pressoit de lui porter, afin qu' il voulût bien se taire. Le timide bouvreuil ne faisoit que chanter, et ne demandoit rien : aussi, pour l' ordinaire, on l' oublioit ; le pauvre oiseau manquoit souvent de grain et d' eau. Ceux qui louoient le plus de son chant l' harmonie n' auroient pas fait le moindre pas pour voir si l' auge étoit remplie. Ils l' aimoient bien pourtant, mais ils n' y pensoient pas. Un jour on le trouva mort de faim dans sa cage. Ah ! Quel malheur ! Dit-on : las ! Il chantoit si bien ! De quoi donc est-il mort ? Certes, c' est grand dommage ! Le corbeau crie encore et ne manque de rien.

Le cheval et le poulain

Un bon pere cheval, veuf, et n' ayant qu' un fils, l' élevoit dans un pâturage où les eaux, les fleurs et l' ombrage présentoient à la fois tous les biens réunis. Abusant pour jouir, comme on fait à cet âge, le poulain tous les jours se gorgeoit de sainfoin, se veautroit dans l' herbe fleurie, galopoit sans objet, se baignoit sans envie, ou se reposoit sans besoin. Oisif et gras à lard, le jeune solitaire s' ennuya, se lassa de ne manquer de rien ; le dégoût vint bientôt ; il va trouver son pere : depuis long-temps, dit-il, je ne me sens pas bien ; cette herbe est mal-saine et me tue, ce treffle est sans saveur, cette onde est corrompue, l' air qu' on respire ici m' attaque les poumons ; bref, je meurs si nous ne partons. Mon fils, répond le pere, il s' agit de ta vie, à l' instant même il faut partir. Sitôt dit, sitôt fait, ils quittent leur patrie. Le jeune voyageur bondissoit de plaisir : le vieillard, moins joyeux, alloit un train plus sage ; mais il guidoit l' enfant, et le faisoit gravir sur des monts escarpés, arides, sans herbage, où rien ne pouvoit le nourrir. Le soir vint, point de pâturage ; on s' en passa. Le lendemain, comme l' on commençoit à souffrir de la faim, on prit du bout des dents une ronce sauvage. On ne galopa plus le reste du voyage ; à peine, après deux jours, alloit-on même au pas. Jugeant alors la leçon faite, le pere va reprendre une route secrete que son fils ne connoissoit pas, et le ramene à sa prairie au milieu de la nuit. Dès que notre poulain retrouve un peu d' herbe fleurie, il se jette dessus : ah ! L' excellent festin ! La bonne herbe ! Dit-il : comme elle est douce et tendre ! Mon pere, il ne faut pas s' attendre que nous puissions rencontrer mieux ; fixons-nous pour jamais dans ces aimables lieux : quel pays peut valoir cet asyle champêtre ? Comme il parloit ainsi, le jour vint à paroître : le poulain reconnoît le pré qu' il a quitté ; il demeure confus. Le pere, avec bonté, lui dit : mon cher enfant, retiens cette maxime : quiconque jouit trop est bientôt dégoûté, il faut au bonheur du régime.

L'éléphant blanc

Dans certains pays de l' Asie on révere les éléphants, sur-tout les blancs. Un palais est leur écurie, on les sert dans des vases d' or, tout homme à leur aspect s' incline vers la terre, et les peuples se font la guerre pour s' enlever ce beau trésor. Un de ces éléphants, grand penseur, bonne tête, voulut savoir un jour d' un de ses conducteurs ce qui lui valoit tant d' honneurs, puisqu' au fond, comme un autre, il n' étoit qu' une bête. Ah ! Répond le cornac, c' est trop d' humilité ; l' on connoît votre dignité, et toute l' Inde sait qu' au sortir de la vie les ames des héros qu' a chéris la patrie s' en vont habiter quelque temps dans les corps des éléphants blancs. Nos talapoins l' ont dit, ainsi la chose est sûre. -quoi ! Vous nous croyez des héros ? -sans doute. -et sans cela nous serions en repos, jouissant dans les bois des biens de la nature ? -oui, seigneur. -mon ami, laisse-moi donc partir, car on t' a trompé, je t' assure ; et, si tu veux y réfléchir, tu verras bientôt l' imposture : nous sommes fiers et caressants ; modérés, quoique tout-puissants ; on ne nous voit point faire injure à plus foible que nous ; l' amour dans notre coeur reçoit des loix de la pudeur ; malgré la faveur où nous sommes, les honneurs n' ont jamais altéré nos vertus : quelles preuves faut-il de plus ? Comment nous croyez-vous des hommes ?

Le phénix

Le phénix, venant d' Arabie, dans nos bois parut un beau jour : grand bruit chez les oiseaux ; leur troupe réunie vole pour lui faire sa cour. Chacun l' observe, l' examine ; son plumage, sa voix, son chant mélodieux, tout est beauté, grace divine, tout charme l' oreille et les yeux. Pour la premiere fois on vit céder l' envie au besoin de louer et d' aimer son vainqueur. Le rossignol disoit : jamais tant de douceur n' enchanta mon ame ravie. Jamais, disoit le paon, de plus belles couleurs n' ont eu cet éclat que j' admire ; il éblouit mes yeux et toujours les attire. Les autres répétoient ces éloges flatteurs, vantoient le privilege unique de ce roi des oiseaux, de cet enfant du ciel, qui, vieux, sur un bûcher de cedre aromatique, se consume lui-même, et renaît immortel. Pendant tous ces discours la seule tourterelle sans rien dire fit un soupir. Son époux, la poussant de l' aile, lui demande d' où peut venir sa rêverie et sa tristesse : de cet heureux oiseau desires-tu le sort ? -moi ! Mon ami, je le plains fort ; il est le seul de son espece.

La pie et la colombe

Une colombe avoit son nid tout auprès du nid d' une pie. Cela s' appelle voir mauvaise compagnie, d' accord ; mais de ce point pour l' heure il ne s' agit. Au logis de la tourterelle ce n' étoit qu' amour et bonheur ; dans l' autre nid toujours querelle, oeufs cassés, tapage et rumeur. Lorsque par son époux la pie étoit battue, chez sa voisine elle venoit, là jasoit, crioit, se plaignoit, et faisoit la longue revue des défauts de son cher époux : il est fier, exigeant, dur, emporté, jaloux ; de plus, je sais fort bien qu' il va voir des corneilles ; et cent autres choses pareilles qu' elle disoit dans son courroux. Mais vous, répond la tourterelle, êtes-vous sans défauts ? Non, j' en ai, lui dit-elle ; je vous le confie entre nous : en conduite, en propos, je suis assez légere, coquette comme on l' est, par fois un peu colere, et me plaisant souvent à le faire enrager : mais qu' est-ce que cela ? -c' est beaucoup trop, ma chere : commencez par vous corriger ; votre humeur peut l' aigrir... qu' appelez-vous, ma mie ? Interrompt aussitôt la pie : moi de l' humeur ! Comment ! Je vous conte mes maux, et vous m' injuriez ! Je vous trouve plaisante : adieu, petite impertinente ; mêlez-vous de vos tourtereaux. Nous convenons de nos défauts ; mais c' est pour que l' on nous démente.

L'éducation du lion

Enfin le roi lion venoit d' avoir un fils ; par-tout dans ses états on se livroit en proie aux transports éclatants d' une bruyante joie : les rois heureux ont tant d' amis ! Sire lion, monarque sage, songeoit à confier son enfant bien aimé aux soins d' un gouverneur vertueux, estimé, sous qui le lionceau fît son apprentissage. Vous jugez qu' un choix pareil est d' assez grande importance pour que long-temps on y pense. Le monarque indécis assemble son conseil : en peu de mots il expose le point dont il s' agit, et supplie instamment chacun des conseillers de nommer franchement celui qu' en conscience il croit propre à la chose. Le tigre se leva : sire, dit-il, les rois n' ont de grandeur que par la guerre ; il faut que votre fils soit l' effroi de la terre : faites donc tomber votre choix sur le guerrier le plus terrible, le plus craint après vous des hôtes de ces bois. Votre fils saura tout s' il sait être invincible. L' ours fut de cet avis : il ajouta pourtant qu' il falloit un guerrier prudent, un animal de poids, de qui l' expérience du jeune lionceau sût régler la vaillance et mettre à profit ses exploits. Après l' ours, le renard s' explique, et soutient que la politique est le premier talent des rois ; qu' il faut donc un mentor d' une finesse extrême pour instruire le prince et pour le bien former. Ainsi chacun, sans se nommer, clairement s' indiqua soi-même : de semblables conseils sont communs à la cour. Enfin le chien parle à son tour : sire, dit-il, je sais qu' il faut faire la guerre, mais je crois qu' un bon roi ne la fait qu' à regret ; l' art de tromper ne me plaît guere : je connois un plus beau secret pour rendre heureux l' état, pour en être le pere, pour tenir ses sujets, sans trop les alarmer, dans une dépendance entiere ; ce secret, c' est de les aimer. Voilà pour bien régner la science suprême ; et, si vous desirez la voir dans votre fils, sire, montrez-la lui vous-même. Tout le conseil resta muet à cet avis. Le lion court au chien : ami, je te confie le bonheur de l' état et celui de ma vie ; prends mon fils, sois son maître, et, loin de tout flatteur, s' il se peut, va former son coeur. Il dit, et le chien part avec le jeune prince. D' abord à son pupille il persuade bien qu' il n' est point lionceau, qu' il n' est qu' un pauvre chien, son parent éloigné ; de province en province il le fait voyager, montrant à ses regards les abus du pouvoir, des peuples la misere, les lievres, les lapins mangés par les renards, les moutons par les loups, les cerfs par la panthere, par-tout le foible terrassé, le boeuf travaillant sans salaire, et le singe récompensé. Le jeune lionceau frémissoit de colere : mon pere, disoit-il, de pareils attentats sont-ils connus du roi ? Comment pourroient-ils l' être ? Disoit le chien : les grands approchent seuls du maître, et les mangés ne parlent pas. Ainsi, sans raisonner de vertu, de prudence, notre jeune lion devenoit tous les jours vertueux et prudent ; car c' est l' expérience qui corrige, et non les discours. à cette bonne école il acquit avec l' âge sagesse, esprit, force et raison. Que lui falloit-il davantage ? Il ignoroit pourtant encor qu' il fût lion ; lorsqu' un jour qu' il parloit de sa reconnoissance à son maître, à son bienfaiteur, un tigre furieux, d' une énorme grandeur, paroissant tout-à-coup, contre le chien s' avance. Le lionceau plus prompt s' élance, il hérisse ses crins, il rugit de fureur, bat ses flancs de sa queue, et ses griffes sanglantes ont bientôt dispersé les entrailles fumantes de son redoutable ennemi. à peine il est vainqueur qu' il court à son ami : oh ! Quel bonheur pour moi d' avoir sauvé ta vie ! Mais quel est mon étonnement ! Sais-tu que l' amitié, dans cet heureux moment, m' a donné d' un lion la force et la furie ? Vous l' êtes, mon cher fils, oui, vous êtes mon roi, dit le chien tout baigné de larmes. Le voilà donc venu, ce moment plein de charmes, où, vous rendant enfin tout ce que je vous doi, je peux vous dévoiler un important mystere ! Retournons à la cour, mes travaux sont finis. Cher prince, malgré moi cependant je gémis, je pleure ; pardonnez : tout l' état trouve un pere, et moi je vais perdre mon fils.

Le grillon

Un pauvre petit grillon caché dans l' herbe fleurie regardoit un papillon voltigeant dans la prairie. L' insecte ailé brilloit des plus vives couleurs ; l' azur, le pourpre et l' or éclatoient sur ses ailes ; jeune, beau, petit-maître, il court de fleurs en fleurs ; prenant et quittant les plus belles. Ah ! Disoit le grillon, que son sort et le mien sont différents ! Dame nature pour lui fit tout et pour moi rien. Je n' ai point de talent, encor moins de figure ; nul ne prend garde à moi, l' on m' ignore ici bas : autant vaudroit n' exister pas. Comme il parloit, dans la prairie arrive une troupe d' enfants ; aussitôt les voilà courants après ce papillon dont ils ont tous envie. Chapeaux, mouchoirs, bonnets, servent à l' attraper. L' insecte vainement cherche à leur échapper, il devient bientôt leur conquête. L' un le saisit par l' aile, un autre par le corps ; un troisieme survient et le prend par la tête. Il ne falloit pas tant d' efforts pour déchirer la pauvre bête. Oh ! Oh ! Dit le grillon, je ne suis plus fâché ; il en coûte trop cher pour briller dans le monde. Combien je vais aimer ma retraite profonde ! Pour vivre heureux vivons caché.