Lost in anywhere / 10-09-1974

samedi 01 novembre 2003

<< le jour d'avant - le jour d'après >>

Une courte {#histoire} d'Halloween

Commençons par cette histoire épique, celle d'un personnage mystérieux, que l'on ne connait qu'au travers de sa représentation symbolique, la citrouille. Il s'agit de celui qui a donné son nom vernaculaire à une espèce de courge, Jack o'Lantern. Personnage de légende, croque-mitaine cucurbitesque, dont on ne sait s'il est bon ou mauvais tant on peut voir de citrouilles découpées soit avec un gentil sourire, soit dans une grimace horrible. Le personnage s'appelle donc Jack, il est réputé pour être un pingre hors pair, sauf lorsqu'il s'agit de bourse délier pour ses innombrables levers de coude. De mauvaise réputation et de mauvaise vie, il est aussi connu pour ses ruses de renard. C'est pourquoi, alors que comme à son habitude, il est accoudé au zinc du pub, il voit le diable entrer et lui demander son âme, pour sa vie dissolue et sans morale. Seulement, Jack lui propose, avant de partir, de s'en jeter un petit dernier, ce que le diable ne saurait lui refuser. Mais Jack n'offre rien et le diable se voit obligé de payer son verre, ce pour quoi il se transforme en pièce de six pence. Aussitôt, Jack s'empare de la pièce et la met dans son escarcelle fermant avec une boucle en forme de crucifix. Le diable ainsi emprisonné jure qu'il le laisserait tranquille une année de plus s'il le laissait sortir. Content du marché, l'autre délie sa bourse, et un an plus tard, le diable revient pour conclure son affaire. Une fois de plus, l'autre se laisse embobiner et Jack obtient de ne plus être inquiété par sa chimère. Le brave Jack finit par mourir, et une fois au purgatoire, on ne voulut de lui ni au paradis, ni en enfer. Il fut donc condamné à errer jusqu'au Jugement Dernier, avec pour seul compagnon un navet. Le diable lui fit un cadeau: un charbon ardent pour s'éclairer dans la nuit, qu'il plaça dans le navet creusé.

Les {#origines}

Contrairement à ce que peuvent en dire les catholiques bien-pensants et les anti-mondialistes échevelés, Halloween n'est pas une fête commerciale, ni même une fête américaine. On peut effectivement dire que puisqu'elle devenue américaine par les hasards de l'histoire (en l'occurence par l'affluence d'Irlandais affamés sur le nouveau continent), elle est inévitablement devenue commerciale, mais tout ceci est accessoire, purement accidentel. L'important est qu'elle soit revenue sur le continent de ses origines, car Halloween est une fête irlandaise, dont on peut littéralement dire qu'elle puise son essence dans ce que l'Eglise appelle le paganisme mais qui n'est de fait que le début de la civilisation européenne, la civilisation celte. De la Westphalie aux Iles Shetland, de la Galice à la Belgique, en passant par l'Auvergne et la Bourgogne, une seule souche, mais c'est précisemment sur les terres mystérieuses et ombrageuses de la verte Erin que les derniers celtes célébraient leurs rites vitaux. Dans leur calendrier, le 1er novembre est (comme encore aujourd'hui) la fête des morts, mais c'est aussi le premier jour de l'année et le premier jour de l'hiver. Que de significations qui pour nous n'évoquent que les chrysanthèmes couleur citrouille... La veille de ce jour important, on veille à ce que les âmes des défunts de l'année se rassemblent pour rejoindre leur dernière demeure spirituelle, et pour se faire, on laisse les portes des maisons ouvertes, on garnit la table de nourriture pour les recevoir, et on balise la route jusqu'aux maisons de petites lanternes faites le plus souvent de rutabagas, de patates ou de navets, creusés et garnis de bougies. Le chemin doit être dégagé, c'est pourquoi, afin d'éviter que le mal ne s'empare de leur défunts parents, les celtes se déguisent en monstres et se griment, poussent des cris alors que leurs poches sont remplies de friandises, dans l'éventualité d'un marché à passer pour que les esprits détournent leur attention... La portée de cette fête celte est loin de tout ce que l'on connait, car elle est perçue comme une sorte de brêche temporelle, un creux dans lequel les esprits s'engouffrent pour une communion entre morts et vivants. C'est dans ce vide que les comportements se déchaînent sans contrôle. Il est important de préciser que cette fête porte en elle quelque chose de strictement intemporel, période pendant laquelle, le temps ne compte vraiment plus, semble figé pour la consécration des morts. En fait, les prémices d'Halloween s'étendent sur trois jours... Il n'en reste aujourd'hui plus grand chose.

Halloween et les {#chrétiens}

Voici née la fête de Samhain*, la veille de la fête de tous les saints, All Hallow's Eve en Anglais (hallow: sanctifié), la TousSaint en Français. Fête celte, pur jus, quoi qu'on en dise, mais vénérer ainsi les morts dans ces rites païens, dans ces costumes ridicules, tout ceci énerve. Patrick, Joran, Brendan et leurs accolytes n'ont pas fait tout ce trajet pour voir les bases de leur religion bafouées par des païens, à qui ils tentent de faire intégrer leur dogme (et finiront d'ailleurs par y arriver). Et comme cette fête est toujours célébrée, on décide de la détourner, en en faisant un fête chrétienne, qu'on finira bien par fêter comme telle, comme le sont aussi aujourd'hui Pâques, la Saint-Jean, Noël... De fait, le travail de sape s'est fait progressivement, mais il finit par avoir raison de la fête des morts. En 837, elle est ingérée dans le calendrier grégorien comme fête officielle chrétienne de tous les saints, et c'est au XIè siècle qu'Odilon de Cluny institue le jour suivant comme fête des morts. Le culte originel est respecté mais désormais, ce n'est plus un rite celte. L'Europe christianisée oublie totalement Halloween, tandis qu'au nord-ouest, en Irlande et en Ecosse, terres sombres et lointaines, la résistance passive opère et les rites subsistent, silencieusement. Derniers représentants de l'esprit celte, ils amèneront par leur ténacité, la mémoire d'Halloween jusqu'à notre époque. Il est vrai que le retour d'Halloween dans nos contrées christianisées est accompagné de ce dont les publicitaires et les commerçants nous abreuvent sans que l'on puisse y résister, mais - en ce qui concerne beaucoup de gens - le 31 octobre devient tout à coup un jour unique parce qu'on y prépare une fête, avec un petit avant-goût de Noël, dans la même effervescence, le tout pour exorciser la mort, la tourner en dérision et penser à autre chose... une fois dans l'année, on ne va plus y penser: voilà l'esprit d'Halloween, tandis que d'autres consacrent un jour entier à ne penser qu'à leurs défunts, mais il y a 365 jours dans une année, et tout le temps d'y penser... *Samhain ou Samain: personnage sombre, divinité régnant sur le royaume des âmes (Samonios en gaulois) .

Halloween en {#Amérique}

1921, la grande famine décime une grande partie de la population irlandaise. Les pieds de pommes de terre pourrissent sur place, ne laissant en terre que de vilains tubercules immangeables. C'est à cette époque que la population émigre en masse vers la terre promise, le nouveau continent. Leurs ancêtres y étaient déjà venus augmenter les rang des colons à l'époque des pionniers du Mayflower, les Pilgrim Fathers. Bien sur, tout bon Irlandais qui se respecte ne se déplace jamais sans sa mauvaise humeur et son accent légendaires, et la tradition venue du fond des âges traverse elle aussi l'Atlantique en bateau. Aussitôt, les alchimies se mettent en branle: la culture celtique - pour ne pas dire païenne - se heurte et se mêle à la culture anglo-saxonne puritaine. Le nouveau pays est depuis toujours hanté par ses chimères, venues des origines, et tout le monde garde présente à l'esprit l'affaire des Sorcières de Salem avec la pendaison de Bridget Bishop en 1692, haut fait marquant le début de la grande vague morale ancrée dans l'anglicanisme en Amérique. Inutile de dire que l'iconographie fantaisiste née de ces événements a connu une progression ayant pour seule limite l'imagination fertile des fondamentalistes, et de là sont nées les associations entre sorcières et Sabbat, sorcières et vampires, chauve-souris, araignées, etc... Tout un univers imaginaire énigmatique basé sur la peur trouvait son point d'ancrage, et n'attendait qu'à se mélanger à une fête telle que celle des défunts, importée d'Europe. En ce qui concerne les pommes de terre, elles se trouvaient ne plus être d'actualité, certainement par superstition ou défiance, et ce sont les légumes géants qui ont pris le relais pour rappeler au souvenir l'histoire de Jack o'Lantern, et plus loin, le balisage du chemin des âmes. Patate devient citrouille et Halloween poursuit son petit bonhomme de chemin.