tile
 Mardi 21 octobre 2003
 << le jour d'avant - le jour d'après >>

Espace virtuel

Il aura fallu quelques années avant que je puisse trouver un jour un lieu où je me sente bien. Vivre dans une maison m'angoisse, je n'ai jamais vraiment sû dire pourquoi, peut-être à cause du manque de proximité directe. Mais pour surseoir à cela, il m'aura fallu créer un espace virtuel pour pouvoir m'épancher.

Mauvaise journée

Je me lève en retard, ça promet ! J'entends les gens minauder, parler à voix basse, ça complote, il y a une ambiance de merde dans le bureau.
Je rencontre à Courbevoie deux types assis sur le trottoir et un autre sur l'île de la Jatte. Ils ont des blocs et doivent certainement compter le nombre de voiture qui passent.

Histoire d'Yarab juge
[ Comte de Caylus ]

Au désespoir de quitter la belle Zesbet, et ne pensant qu' aux moyens de rencontrer Mahomet, je partis, belle rose du paradis. Tout incertain que j' étois de la route que je devois tenir, je me confiois en la sagesse du célebre Oucha, qui n' auroit pas recommandé une chose impossible, et je disois : on peut le voir puisqu' il impose cette condition au mariage de sa fille ; je ne fus pas long-tems sans rencontrer le désert. La chaleur, la fatigue, et la mauvaise nourriture, me firent beaucoup souffrir. Cependant, un jour je dormis jusqu' au lever du soleil, et je me remis en marche avec une nouvelle confiance. à-peine avois-je fait quelques pas, que j' apperçus un animal composé de tous les quadrupedes, qui s' approcha de moi, en me disant : homme de Médine, sois le bien arrivé, dieu m' a ordonné de venir ici pour te montrer le chemin. Il sentoit le musc et l' ambre : je lui témoignai une reconnoissance mêlée d' étonnement. Tu veux savoir qui je suis, me dit-il ? Je convins de ma curiosité. Je m' appelle Dabetul, me dit-il, et je dois demeurer ici jusqu' au jour du jugement ; le grand dieu m' a créé pour consoler ceux qui sont égarés, je n' ai point d' autre occupation. En achevant ces mots, il me dit le chemin que je devois suivre, et il me quitta. Je marchai quatre jours et quatre nuits sans autre nourriture que celle des racines que je trouvois avec beaucoup de peine. Enfin j' apperçus la retraite d' un solitaire, bâtie au plus haut d' un rocher qui dominoit sur la mer ; je redoublai mes pas pour y arriver. Quand je fus à la porte, je demandai du soulagement, et je vis paroître un vénérable vieillard. Il me demanda qui j' étois, d' où je venois, et ce que je faisois dans ce lieu désert, où jamais il n' avoit vu venir personne du côté de la terre. Je lui contai le motif et les raisons de mon voyage ; et voyant par mon récit l' envie que j' avois de voir le saint prophete, il me dit : dieu veuille que tu puisses réussir ; soixante ans de prières et de recueillement n' ont encore pu me faire obtenir une pareille faveur ; cependant dispose de tout ce qui peut dépendre de moi. Je lui demandai comment il pouvoit trouver des vivres dans le désert. Cette question, me répondit-il, me fait imaginer que tu as besoin de manger ; descends dans cette vallée, poursuivit-il, tu trouveras de quoi suffire à tes besoins et tu viendras ensuite me retrouver. Je descendis à l' endroit qu' il m' avoit indiqué, et j' y trouvai un jardin rempli de toutes les especes de meilleurs fruits ; il étoit coupé de plusieurs ruisseaux d' une eau vive et claire ; je mangeai de ces fruits, je bus de cette eau, et je revins trouver le vieillard, à qui je témoignai ma reconnoissance ; je lui demandai comment il trouvoit dans le désert les autres choses qui pouvoient lui être nécessaires ; il me répondit que les vaisseaux qui passoient quelquefois à la vue de la côte, lui fournissoient abondamment tous ses besoins. Nous apperçûmes à l' instant même un bâtiment, auquel le solitaire fit des signaux. Aussi-tôt le vaisseau mouilla, et la chaloupe vint à terre pour demander au vieillard ce qu' il avoit à leur ordonner. Je desire que vous embarquiez ce jeune-homme, leur dit-il, en me montrant à eux ; ayez beaucoup d' égards pour lui, continua-t-il, car il est favorisé de dieu. Nous ferons toujours ce que vous ordonnerez, lui répondirent-ils. Nous fîmes ensuite nos adieux au solitaire, et nous nous embarquâmes. La nuit même, une tempête effroyable fit périr le bâtiment, et je fus le seul qui évitai la mort, à l' aide d' une planche dont je me saisis. Je luttai contre les flots pendant sept jours, et le huitième je fus assez heureux pour aborder dans une île. En me promenant sur le bord de la mer, je vis sortir du milieu des eaux un animal, qui fit un cri dont je fus si fort épouvanté que je montai sur l' arbre le plus épais pour me cacher. J' entendis trois fois pendant la nuit une voix qui fit autant de bruit qu' un tonnerre, en prononçant en arabe les louanges de dieu et celles de son prophete. Le jour parut, et je vis sortir un serpent monstrueux qui vint au pied de l' arbre où j' étois ; il leva la tête, me salua, et me demanda qui j' adorois. J' adore le grand dieu, lui dis-je. Il me parut que cette réponse l' adoucissoit. Ainsi, voulant satisfaire ma curiosité, je fus assez hardi pour lui demander quelles étoient les voix que j' avois entendues pendant la nuit. Tu as entendu, me dit-il, les princes de la mer, qui sortent ainsi toutes les nuits, et qui publient les louanges de dieu. Tu es bien heureux, ajouta-t-il, d' être fidele, sans cela je t' aurois exterminé. En achevant ces mots, il se lança dans la mer et disparut. Je descendis de l' arbre qui m' avoit servi d' asyle, je cueillis des fruits, et je marchai jusqu' à la nuit. J' apperçus loin de moi une lumière dont je voulus approcher ; mais elle s' éloignoit autant que je faisois de chemin vers elle. Enfin, après des peines infinies, j' y arrivai, et je distinguai un palais si brillant que mes yeux n' en pouvoient soutenir l' éclat. Cependant à force de redoubler mes efforts, je me trouvai presqu' au moment d' y entrer, et dans le même instant, j' apperçus un dragon qui siffla, et qui voulut se jetter sur moi. Je n' eus d' autre ressource que celle de prononcer au plutôt le grand nom de dieu. Aussi-tôt il sortit une voix de ce superbe palais, qui me dit : ô homme de Médine, apprends que ce palais est le paradis destiné pour les fideles ; nous y louons Dieu continuellement, et nous sommes ici depuis le tems du prophete Noé. Mérite par tes bonnes oeuvres de pouvoir un jour habiter parmi nous, et jouis du bonheur d' avoir pu seulement voir de ton vivant la porte du paradis. Je m' éloignai, quoiqu' à regret, d' un aussi beau lieu, où je devois trouver Mahomet plus que partout ailleurs, et je marchai quatre jours et quatre nuits sans faire aucune rencontre. Le cinquième jour je vis paroître un jeune-homme qui m' aborda avec bonté, et qui me demanda qui j' étois. Pendant que je lui racontois mon histoire, il me servit à manger, et il m' engagea à demeurer trois jours et trois nuits avec lui. J' y consentis, car sa compagnie me parut pleine de douceur et de miel. Le quatrième il me dit : si je te faisois revoir ton pays, que ferois-tu pour moi ? Il n' est rien que je ne sois capable de faire pour voir encore une fois la belle Zesbet, lui répondis-je ; mais auparavant je veux trouver le grand prophete. Nous verrons, dit-il en m' interrompant, si je ne pourrai te faire oublier ce projet ; en attendant, prends de la confiance en moi ; aussi-tôt il se secoua, et fut changé en aigle. Tiens-toi bien à mes pieds, me dit-il. Je lui obéis. Il ouvrit les aîles et s' envola. Il traversa des espaces fort considérables, et me posa sur une montagne. Il faut un peu se reposer, me dit-il en se secouant de nouveau, et reprenant sa première figure ; ensuite il me pria de l' attendre pendant quelques momens. Son absence me donna le tems de faire des réflexions. Je ne l' avois point vu prier Dieu pendant le séjour que j' avois fait avec lui : son changement et la façon dont il m' avoit parlé, me devinrent suspects, et pour me rassurer, je me rappellai une prière que j' avois apprise autrefois du sage qui m' avoit élevé, et qui prévenoit toutes les mauvaises volontés des génies infideles. Quand le jeune-homme revint à moi, je la prononçai à tout hasard. Il ne l' eut pas plutôt entendue, qu' il fit un cri épouvantable, et disparut. Je remerciai dieu d' avoir évité le malheur où la compagnie des méchans fait nécessairement tomber. Je continuai mon chemin, et je ne fus pas long-tems sans appercevoir une caverne, qui s' embellissoit à mesure que j' en approchois, et qui me parut à la fin un grand château orné d' or et de pierres précieuses. La curiosité m' engagea d' en visiter les appartemens ; tout y respiroit les plaisirs et la volupté : tout ce que je rencontrai, esclaves et maîtres, tout étoit d' un abord agréable, tout étoit prévenant ; enfin je vis au milieu d' un grand salon un sopha sur lequel une belle fille étoit assise ; elle avoit autour d' elle cent esclaves, qui par-tout ailleurs auroient remporté le prix de la beauté ; mais qui ne paroissoient pas plus devant leur maîtresse, que les étoiles devant la lune quand elle est dans son plein. Frappé de sa beauté, je m' arrêtai ; elle me fit signe d' approcher, ce que je fis avec beaucoup de respect ; elle m' ordonna de m' asseoir à ses côtés ; elle fit signe à ses esclaves de prendre des instrumens, et dans l' instant j' entendis une musique sur les modes ochac et ozzul , destinés pour les chants amoureux, qui charmèrent mon coeur ; aussi-tôt une belle esclave me présenta une coupe remplie d' un vin exquis. Enfin je me livrois insensiblement à tous les plaisirs, quand je me souvins de Zesbet et de tout ce que j' avois fait pour elle. Pénétré des graces que j' avois reçues du tout-puissant, je ne pus m' empêcher de le remercier de ses bontés. Et la belle fille m' ayant surpris dans cette action, me dit : tu ne seras jamais heureux sur la terre, et tu n' es point fait pour habiter parmi nous ; ainsi je te conseille de n' y pas faire un plus long séjour. Mais du moins, continua-t-elle, si tu veux m' obliger, tu me feras un récit exact de ce qui t' est arrivé. J' y consentis, et je m' apperçus que plusieurs endroits de mon récit l' avoient touchée. Je voulus en profiter pour la ramener au culte du véritable dieu. Elle convenoit de tout ce que je lui disois ; mais elle ne pouvoit se détacher des plaisirs. Je la suppliai de vouloir bien m' apprendre à son tour quelque chose de son histoire ; et voici ce qu' elle eut la complaisance de me dire. Je suis la fille d' un grand roi de l' Inde ; depuis un an j' ai été enlevée de sa cour, et conduite ici par un génie, qui, selon toutes les apparences, est celui qui fut transformé en aigle, et que tu as contraint à prendre la fuite par ta prière. Ce génie enlevoit ordinairement toutes les filles qu' il trouvoit à son gré, et les apportoit ici. Je fus d' abord affligée de m' y trouver, mais il m' aimoit plus que toutes celles qu' il avoit rassemblées pour ses plaisirs, et me fit leur souveraine ; ma vanité fut flattée du triomphe de mes charmes. Il est jeune, aimable et attentif ; je l' aimai donc bientôt à mon tour, et je m' étourdis aisément sur le genre de vie que je menois, si fort opposé aux impressions que l' on m' avoit données dans mon enfance. Cependant un mouvement intérieur me reproche souvent tout ce qui se passe : mais qui peut quitter les plaisirs ? Qui peut renoncer à l' amour ? Que deviendrois-je si je suivois tes conseils ? Que mettrois-je à la place des plaisirs ? Crois-moi, quittons-nous, tu ne peux me donner que des remords. Cependant pour reconnoître ton zele et la confiance que tu m' as témoignée, je veux te rendre service. Tout ce que je puis faire, c' est de te faire retourner au plutôt dans ta patrie. Je crains que le génie ne te retrouve ici, et qu' il ne veuille se venger de toi. Qui se confie en dieu, lui répondis-je, ne craint rien. Cependant quelle obligation ne vous aurois-je point, si vous me faisiez voir le prophete ! C' est l' unique moyen qui puisse me faire posséder Zesbet. Livre-toi à la providence, me dit-elle, je ne puis faire autre chose pour ton service ; et puisque tu n' as pas d' autre moyen, il est à croire, après tout ce qui t' est arrivé, que c' est celui que tu dois suivre. Je la remerciai de ses bontés, et je me rendis à ses raisons. Quand tu seras arrivé au lieu où l' on va te porter, reprit-elle, tu donneras cet anneau, (en me donnant le sien) au dragon qui va te conduire dans mon char ; c' est un génie que je vais charger de cette commission. Je saurai, par ce moyen qu' il t' aura conduit en sureté. Je la remerciai mille fois, et la belle fille ayant fait appeller un dragon, qui étoit un génie subalterne, elle lui donna des ordres très-précis pour ma satisfaction, en lui disant cependant qu' elle s' en rapportoit à ses lumières. Je suis monté ce matin dans le char, et le dragon s' est envolé avec une si grande rapidité, que sans pouvoir distinguer aucun objet, je me suis trouvé tout étourdi dans ma cour ; je n' ai pas même senti que le dragon m' ait pris l' anneau de la belle fille ; cependant je ne l' ai plus à mon doigt. Mais plus je sens vivement le bonheur de revoir Zesbet, plus je sens l' horreur de la situation où je suis, en trouvant son coeur partagé et sa foi donnée à mon préjudice. C' est à vous, Temimdari, que le sort ordonne à présent de parler, lui dit Zesbet en voyant qu' Yarab ne parloit plus ; et Temimdari prit ainsi la parole.