C'est une maison qui n'existe plus que dans mes souvenirs. Une maison de
campagne, perdue au milieu de nulle part, qui pour moi s'est toujours appelée
"le mesnil", et qui se nommait "la tuillerie". Une longère
décrépie, parée de briques rouges et de chaux, devant
laquelle le potager/verger/jardin s'ébouriffait avec joie dans les
yeux de l'homme qui lui donnait vie. Son béret vissé sur la
tête, Charles Henri Julien le cuistôt gentleman paysan, la gauloise
maïs coincée toute la journée à la commissure
des lèvres, ajustait sa salopette tachée de terre. Il était
beau, malgré tout. Je me souviens de ses quelques poils de barbe
blanc, rangés en bataille sur son menton en galoche.
Les fruitiers s'ébattent au milieu de rangées de haricots,
arrosés par les soins précieux du chien noir au ventre tâché
de blanc qui leur tourne autour. Le soleil resplendit et ce qui me rapproche
à chaque fois un peu plus de cette ambiance, c'est le roucoulement
suave des tourterelles perchées sur les hautes branches. Les quasi
toilettes, le long de la maison ne consistent qu'en un trou à même
le sol derrière une porte peinte en verte, à côté
du tas de charbon. Qui dit tas de charbon et bois dit cheminée ou
poêle, mais je n'ai aucun souvenir de tout cela. Simplement un petit
oiseau de céramique posé sur la télévision,
un lit immense au matelas bombé et une armoire normande.
Parties de pêches avec mon grand-père dans un petit étang
artificiel, flanqué d'un lavoir en ruine dans lequel l'eau stagnante
m'intéressait plus que celle envahie de roseaux. Des vaches et des
chevaux dans les champs alentour, des promenades dans la forêt, les
visites au marché - que par ailleurs je n'ai jamais aimé -
de Vernon.
C'était ça, le bonheur? Si oui, alors j'ai l'impression de
ne plus pouvoir remettre la main dessus.